L’être de la substance dont l’extensio représente la proprietas insigne devient par [93] conséquent déterminable en son fond ontologique à condition que soit éclairci le sens de l’être « commun », aux trois substances – à la substance infinie et aux deux substances finies. Seulement, « nomen substantiae non convenit Deo et illis univoce, ut dici solet in Scholis, hoc est… quae Deo et creaturis sit communis » (NA: Ibid. [NT: « Le nom de substance ne convient pas à Dieu et à elles (aux créatures) univoquement… c’est-à-dire de telle manière qu’il soit commun à lui et à elles. »]). Descartes touche ici à un problème qui n’avait cessé de préoccuper l’ontologie médiévale : à la question de savoir en quelle guise la signification de l’être signifie proprement l’étant à chaque fois interpellé. Dans les énoncés « Dieu est » et « le monde est », nous énonçons l’être. Mais ce mot « est » ne peut pas alors viser chacun de ces étants au même sens (sunonumos, univoce) dans la mesure où subsiste entre eux une différence infinie d’être ; si le signifier du « est » était univoque, alors le créé serait visé comme incréé ou l’incréé ravalé au rang de créé. Cependant, l’« être » ne fonctionne pas non plus comme simple nom identique, mais dans les deux cas c’est bien l’« être » qui est compris. La scolastique conçoit le sens positif du signifier de l’« être », comme signifier « analogique », par opposition au signifier univoque ou seulement homonyme (équivoque). Sous l’invocation d’Aristote, chez qui le problème est préformé au point de départ même de l’ontologie grecque en général, divers types d’analogie ont été fixés, d’après lesquels également les « Écoles » se distingueront dans leur conception de la fonction significative de l’être. En ce qui concerne l’élaboration ontologique du problème, Descartes reste loin derrière la scolastique (NA: Cf., à ce propos, Opuscula omnia Thomae de Vio Caietanis Cardinalis, Lyon, 1580, t. III, tractatus V : « De nominum analogia », p. 211-219.), et même il esquive la question. « Nulla ejus [substantiae] nominis significatio potest distincte intelligi, quae Deo et creaturis sit communis » (NA: DESCARTES, Principia, I, 51, p. 24 [NT: « Aucune signification de son nom (scil. de la subtance) ne peut être distinctement représentée qui soit commune à Dieu et aux créatures. »]). Cette esquive signifie que Descartes laisse inélucidé le sens de l’être renfermé dans l’idée de substantialité et le caractère d’« universalité » de cette signification. Cela dit, l’ontologie médiévale elle-même s’est tout aussi peu enquise que l’ontologie antique de ce que l’être lui-même veut dire, et c’est pourquoi il n’est pas étonnant qu’une question comme celle du mode de signification de l’être ne puisse faire un seul pas tant que l’on veut l’élucider sur la base d’un sens non-clarifié de l’être, que cette signification serait censée « exprimer ». Si ce sens est demeuré non-clarifié, c’est parce qu’on le tenait pour « allant de soi ». EtreTemps20