action

Handeln (SZ)

Avec ce choix, le Dasein se rend possible son être-en-dette le plus propre, qui demeure (288) refermé au On-même. L’entente du On ne connaît que la suffisance ou l’insuffisance par rapport à la règle courante et à la norme publique. Le On décompte des infractions contre elles, et il cherche des compromis. Il s’est dérobé à l’être-en-dette le plus propre, afin de commenter d’autant plus bruyamment les fautes commises. Mais dans l’ad-vocation (An-ruf), le On (das Man)-même est ad-voqué à l’être-en-dette le plus propre du Soi-même. La compréhension de l’appel est le choisir — non pas cependant de la conscience (Gewissen) qui, comme telle, ne peut être choisie. Ce qui est choisi, c’est l’avoir-conscience (Gewissen) en tant qu’être-libre pour l’être-en-dette le plus propre. Comprendre l’ad-vocation (An-ruf) signifie : vouloir-avoir-conscience (Gewissen).
Cela ne veut pas dire cependant : vouloir avoir une « bonne conscience (Gewissen) », et pas davantage un culte volontairement rendu à l’appel, mais uniquement la disponibilité à l’être-ad-voqué. Le vouloir-avoir-conscience (Gewissen) est tout aussi éloigné d’une recherche de responsabilités factices que de la tendance à une libération à l’égard de la dette au sens du « en-dette » essentiel.
Le vouloir-avoir-conscience (Gewissen) est bien plutôt la présupposition existentielle la plus originaire de la possibilité du devenir-en-dette factice. Comprenant l’appel, le Dasein laisse le Soi-même le plus propre agir sur soi à partir du pouvoir-être qu’il a choisi. Ainsi seulement peut-il être responsable. Mais tout agir, facticement, est nécessairement « in-conscient », non pas seulement parce qu’il n’évite pas l’endettement moral factice, mais parce que, sur le fondement nul de son projeter nul, il est toujours déjà devenu, dans l’être-avec (Mitsein) avec les autres, en dette auprès d’eux. Ainsi, le vouloir-avoir-conscience (Gewissen) devient-il assomption de l’in-conscience (Gewissen) essentielle à l’intérieur de laquelle seulement subsiste la possibilité existentielle d’être « bon ».
Bien que l’appel n’offre rien à la connaissance, il n’est pourtant pas seulement critique, mais positif, il ouvre le pouvoir-être le plus originaire du Dasein en tant qu’être-en-dette. La conscience (Gewissen), par suite, se manifeste comme une attestation appartenant à l’être du Dasein, où elle appelle celui-ci même devant son pouvoir-être le plus propre. Est-il possible de déterminer existentialement de façon plus concrète le pouvoir-être authentique ainsi attesté ? Au préalable s’élève cette question : le dégagement — que nous avons accompli — d’un pouvoir-être attesté dans le Dasein lui-même peut-il revendiquer une évidence suffisante, tant que n’a pas disparu l’étonnement de voir la conscience (Gewissen) interprétée ici unilatéralement par rapport à la constitution du Dasein, et précipitamment omises toutes les données qui sont familières à l’explicitation vulgaire de la conscience (Gewissen) ? Dans notre interprétation antérieure du phénomène de la conscience (Gewissen), celui-ci se laisse-t-il en général encore reconnaître comme il est (289) « effectivement » ? Ne nous sommes-nous pas bornés à déduire, avec une franchise excessive, une idée de la conscience (Gewissen) de la constitution d’être du Dasein ? (EtreTemps58)

Mais si, dans l’appel, la relativité à une dette facticement « sous-la-main » ou à un acte « endettant » factuellement voulu n’a rien de primaire, et si par conséquent la conscience (Gewissen) (294) « réprimandante » et « admonitrice » n’expriment point une fonction originaire de l’appel, cela revient également à soustraire tout fondement à la première objection, celle qui prétend que l’interprétation existentiale méconnaît la fonction « essentiellement » critique de la conscience (Gewissen). Cette première instance, comme les autres, procède elle aussi, dans une certaine mesure, d’une vue authentique sur le phénomène. En effet, rien, dans la teneur de l’appel, ne peut être mis en lumière à titre de recommandation ou d’interdiction « positive » de la voix de la conscience (Gewissen). Mais comment cette positivité absente de la fonction de la conscience (Gewissen) sera-t-elle comprise ? Suit-il de là que le caractère de la conscience (Gewissen) soit au contraire « négatif » ?
À partir de quoi l’absence d’une teneur « positive » de ce qui est « crié » se laisse-t-elle regretter ? Réponse : à partir de l’attente de l’indication — à chaque fois utilisable — de sûres possibilités disponibles et calculables d’« action ». Cette attente se fonde dans l’horizon d’explicitation de la préoccupation (Besorgen) d’entendement, horizon qui soumet l’exister du Dasein à l’idée d’une économie réglable. Mais la conscience (Gewissen) s’empresse de décevoir de telles attentes, qui, pour partie, ne sont pas moins au fondement de l’exigence d’une éthique matériale des valeurs opposée à une éthique « seulement » formelle. Et si l’appel de la conscience (Gewissen) ne donne point de telles consignes « pratiques », c’est uniquement parce qu’il con-voque le Dasein à l’existence, au pouvoir-être-Soi-même le plus propre. Du reste, si elle délivrait ces maximes attendues, univoquement calculables, la conscience (Gewissen) ne refuserait rien de moins à l’existence que — la possibilité d’agir. Cependant, que la conscience (Gewissen) ne puisse manifestement être « positive » de cette manière, ne signifie pas qu’elle « ne » fonctionne — de la même manière — « que négativement ». L’appel n’ouvre rien qui puisse être positif ou négatif pour la préoccupation (Besorgen), parce qu’il vise un être ontologiquement tout à fait autre, l’existence. Au sens existential, en revanche, l’appel bien compris livre « ce qu’il y a de plus positif », à savoir la possibilité la plus propre que le Dasein puisse se proposer, en tant que rappel pro-vocant à ce qui est à chaque fois le pouvoir-être-Soi-même factice. Entendre authentiquement l’appel, cela veut dire se transporter dans l’agir factice. Toutefois, nous ne pourrons conquérir une interprétation absolument satisfaisante de ce qui est crié dans l’appel que si nous dégageons la structure existentiale qui se trouve dans la compréhension où l’ad-vocation (An-ruf) est authentiquement entendue.
Au préalable, il convenait de montrer comment les phénomènes qui sont seuls familiers à l’explicitation vulgaire de la conscience (Gewissen) renvoient, à condition d’être compris de manière ontologiquement adéquate, au sens originaire de l’appel de la conscience (Gewissen) ; puis, que l’explicitation vulgaire provient de la limitation propre à l’auto-explicitation échéante et — s’il est vrai que l’échéance appartient au souci lui-même — qu’en dépit de toute son « évidence » elle n’a rien d’accidentel.
(295) Ce serait pourtant interpréter à contresens la critique ontologique de l’explicitation vulgaire de la conscience (Gewissen) que de croire qu’en montrant la non-originarité existentiale de l’expérience quotidienne (alltäglich) de la conscience (Gewissen), elle veut porter un jugement sur la « qualité morale » existentielle du Dasein qui se tient au sein de celle-ci. Aussi peu l’existence se trouve nécessairement et directement rabaissée par une compréhension ontologiquement insuffisante de la conscience (Gewissen), aussi peu une interprétation existentialement adéquate de la conscience (Gewissen) garantit-elle la compréhension existentielle de l’appel. Le sérieux n’est pas moins possible dans l’expérience vulgaire de la conscience (Gewissen) que l’absence de sérieux dans une compréhension plus originaire de la conscience (Gewissen). Néanmoins, l’interprétation existentialement plus originaire ouvre également des possibilités de comprendre existentiel plus originaire, aussi longtemps du moins que la conception ontologique ne se laisse par couper de l’expérience ontique. (EtreTemps59)

Au On, au contraire, la situation est essentiellement refermée. Le On ne connaît que la « situation générale », il se perd dans les « occasions » prochaines, et il conteste le Dasein au nom de ce décompte des « contingences » qu’il prend — tout en méconnaissant celles-ci — pour la vraie conduite à tenir.
La résolution transporte l’être du Là dans l’existence de sa situation. Mais d’autre part, elle délimite la structure existentiale du pouvoir-être authentique attesté dans la conscience (Gewissen), du vouloir-avoir-conscience (Gewissen). En celui-ci, nous avons reconnu la compréhension adéquate de l’ad-vocation (An-ruf). Il devient donc tout à fait clair à partir de là que l’appel de la conscience (Gewissen), lorsqu’il con-voque au pouvoir-être, ne représente pas (au Dasein) un idéal d’existence vide, mais le pro-voque à la situation. Cette positivité existentiale de l’appel bien compris de la conscience (Gewissen) permet en même temps d’apercevoir en quelle mesure la restriction de la tendance de l’appel à des endettements contractés ou potentiels méconnaît le caractère d’ouverture de la conscience (Gewissen) et ne nous procure qu’en apparence la compréhension concrète de sa voix. L’interprétation existentiale de la compréhension de l’ad-vocation (An-ruf) en tant que résolution dévoile la conscience (Gewissen) comme ce mode d’être, renfermé dans le fondement du Dasein, où il se rend lui-même possible-en attestant son pouvoir-être le plus propre — son existence factice.
Ce phénomène que nous venons de dégager sous le nom de résolution ne saurait être en aucune manière confondu avec un « habitus » vide et une « velléité » indéterminée. Loin de se représenter d’abord, en en prenant connaissance, une situation, la résolution s’est déjà placée en elle. En tant que résolu, le Dasein agit déjà. Nous évitons sinon à dessein le terme d’« agir ». D’une part, en effet, il devrait à nouveau être compris de telle manière que l’activité embrasse en même temps la passivité de la résistance ; d’autre part, il favorise le contresens ontologico-existential selon lequel la résolution serait un comportement particulier du pouvoir pratique de l’homme par opposition à un pouvoir théorique. Mais le souci, en tant que sollicitude (Fürsorge) préoccupée, embrasse si originairement et totalement l’être du Dasein qu’il doit être toujours déjà présupposé en tant que totalité par cette division entre comportements théorique et pratique, et qu’il est exclu de le reconstruire en sens inverse à partir de tels pouvoirs, en appelant à l’aide une dialectique nécessairement sans fondement, parce (301) qu’existentialement infondée. La résolution est seulement l’authenticité, prise en souci dans le souci et possible comme souci, du souci lui-même. (EtreTemps60)

La résolution devançante comprend le Dasein en son être-en-dette essentiel. Ce comprendre signifie : assumer l’être-en-dette en existant, être en tant que fondement jeté de la nullité (Nichtigkeit). Mais l’assomption de l’être-jeté signifie : être authentiquement le Dasein tel qu’il était à chaque fois déjà. L’assomption de l’être-jeté, cependant, n’est possible que dans la mesure où le Dasein avenant peut être son « comme il était déjà à chaque fois » le plus propre, (326) c’est-à-dire son « été ». C’est seulement pour autant que le Dasein est en général comme je-suis-été qu’il peut advenir de manière avenante à soi-même, en re-venant. Authentiquement avenant, le Dasein est authentiquement été. Le devancement vers la possibilité extrême et la plus propre est le re-venir compréhensif vers l’« été » le plus propre. Le Dasein ne peut être été authentiquement qu’autant qu’il est avenant. L’être-été, d’une certaine manière, jaillit de l’avenir.
La résolution devançante ouvre toute situation du Là de telle manière que l’existence, en agissant, se préoccupe circon-spectivement de l’à-portée-de-la-main facticement rencontré dans le monde ambiant. L’être résolu auprès de l’à-portée-de-la-main de la situation, c’est-à-dire le laisser-faire-encontre agissant de ce qui est présent dans le monde ambiant n’est possible que dans un présentifier de cet étant. C’est seulement en tant que présent au sens du présentifier que la résolution peut être ce qu’elle est : le laisser-faire-encontre non-dissimulé de ce dont elle s’empare en agissant.
Re-venant à soi de manière a-venante, la résolution se transporte dans la situation en présentifiant. L’être-été jaillit de l’avenir, de telle manière que l’avenir « été » (mieux encore : « étant-été ») dé-laisse de soi le présent. Or ce phénomène unitaire en tant qu’avenir étant-été-présentifiant, nous l’appelons la temporalité. C’est seulement dans la mesure où le Dasein est déterminé comme temporalité qu’il se rend possible à lui-même le pouvoir-être-tout authentique — plus haut caractérisé — de la résolution devançante. La temporalité se dévoile comme le sens du souci authentique.
La teneur phénoménale, puisée dans la constitution d’être de la résolution devançante, de ce sens remplit la signification du terme de temporalité. L’usage terminologique de cette expression doit tout d’abord tenir éloignées toutes les significations de l’« avenir », du « passé » et du « présent » suggérées par le concept vulgaire du temps, et autant vaut des concepts d’un temps « subjectif » et « objectif », ou « immanent » et « transcendant ». Dans la mesure où le Dasein se comprend lui-même de prime abord et le plus souvent inauthentiquement, il est permis de présumer que le « temps » de la compréhension vulgaire du temps représente un phénomène certes véritable, mais second. Ce phénomène, en effet, provient de la temporalité inauthentique, qui a elle-même son origine propre. Les concepts d’« avenir », de « passé » et de « présent » ont tout d’abord pris naissance dans le comprendre inauthentique du temps. La délimitation terminologique des phénomènes originaires et (327) authentiques correspondants se trouve aux prises avec cette même difficulté qui demeure attachée à toute terminologie ontologique. Les « violences » dans ce domaine, ne sont pas de l’arbitraire, mais représentent une nécessité fondée dans la chose même. Néanmoins, pour pouvoir mettre totalement en lumière l’origine de la temporalité inauthentique à partir de la temporalité originaire et authentique, il est préalablement besoin d’une élaboration concrète du phénomène originaire, qui n’a jusqu’ici été que grossièrement caractérisé. (EtreTemps65)