Temps Modernes

Tempos Modernos

Nous avons souvent observé que l’époque dite « les temps modernes » reçoit le trait fondamental de son histoire de cette dispensation de l’être, où l’être se livre à nous comme objectité et aménage ainsi l’étant sous forme d’objets. Mais peut être, tout aussi souvent, cette observation a-t-elle laissé planer un doute qu’on peut exprimer ainsi : Qu’y a-t-il donc de particulier dans le fait que l’étant devienne objet ? L’étant n’a-t-il pas toujours été objet, et précisément là où l’être comme physis, comme pure éclosion, laisse l’étant éclore de lui-même? La pensée des Grecs ne connaissait-elle pas déjà l’étant comme objet? le connaissait elle-même autrement? Pensons seulement, par exemple, à leur statuaire. [GA10 183]

Un phénomène essentiel des Temps Modernes est la science. Un phénomène non moins important quant à son ordre essentiel est la technique mécanisée. Il ne faut pourtant pas mésinterpréter celle-ci, en ne la comprenant que comme pure et simple application, dans la pratique, des sciences mathématisées de la nature. La technique est au contraire elle-même une transformation autonome de la pratique, de telle sorte que c’est plutôt cette dernière qui requiert précisément la mise en pratique des sciences mathématisées. La technique mécanisée reste jusqu’ici le prolongement le plus visible de l’essence de la technique moderne, laquelle est identique à l’essence de la métaphysique moderne.
Un troisième phénomène, non moins essentiel, des Temps Modernes, est constitué par le processus de l’entrée de l’art dans l’horizon de l’Esthétique : ce qui signifie que l’oeuvre d’art devient objet de ce qu’on appelle l’expérience vécue, en conséquence de quoi l’art passe pour une expression de la vie humaine.
Une quatrième manifestation de la modernité s’annonce dans l’interprétation « culturelle » de tous les apports de l’histoiré humaine. La culture, c’est alors la réalisation des valeurs suprêmes par le soin consacré aux plus hauts biens de l’homme. Il appartient à la nature de la civilisation en tant que culture de se cultiver elle-même à son tour et de devenir ainsi une politique des problèmes culturels.
Une cinquième manifestation des Temps Modernes est le dépouillement des dieux (Entgötterung). Cette expression ne signifie pas la simple mise de côté des dieux, l’athéisme grossier. Le dépouillement des dieux est le processus à double face par lequel, d’un côté, l’idée générale du monde (Weltbild) se christianise, dans la mesure où le fondement du monde est posé comme infini, comme inconditionné, comme absolu, et de l’autre le christianisme transforme son idéal de vie en une vision du monde (la vision chrétienne du monde), et ainsi se met au goût du jour. Le dépouillement des dieux, c’est la vacance par rapport à Dieu et aux dieux. Le christianisme est le principal responsable de son avènement. Cependant, le dépouillement des dieux exclut si peu la religiosité, que c’est plutôt avec lui seulement que le rapport aux dieux se mue en vécu religieux. Quand les choses en viennent là, les dieux disparaissent. Le vide qui en résulte est alors comblé par l’exploration historique et psychologique des mythes.
Quelle acception de l’étant et quelle explication de la vérité se trouvent à l’origine de ces phénomènes ?
Nous limitons la question au premier phénomène cité, la science.
Quelle est, sur quoi repose l’essence de la science moderne ?
Quelle acception de l’étant et de la vérité fonde cette essence ? Si nous réussissons à toucher le fond métaphysique qui fonde la science en tant que moderne, il doit être alors possible d’entrevoir à partir de lui l’essence propre de tous les Temps Modernes. [GA5 99]