Saturne

Un jour que le « Souci » traversait un fleuve, il aperçut un limon argileux : songeur, il en prit un morceau et se mit à le façonner. Tandis qu’il réfléchissait à ce qu’il avait créé, Jupiter survient. Le « Souci » lui demande de prêter un esprit au morceau d’argile façonné : il y consent volontiers. Mais lorsque le « Souci » voulut imposer à la créature son propre nom, Jupiter le lui interdit, exigeant que son nom à lui lui fût donné. Tandis qu’ils disputaient de ce nom, la Terre (Tellus) surgit à son tour, désirant que l’image reçût son propre nom, puisqu’elle lui avait prêté une parcelle de son corps. Les querelleurs prirent Saturne pour arbitre, qui leur signifia cette décision apparemment équitable : « Toi, Jupiter, qui lui as donné l’esprit, tu dois à sa mort recevoir son esprit ; toi, Terre, qui lui as offert le corps, tu dois recevoir son corps. Mais comme c’est le “Souci” qui a le premier formé cet être, alors, tant qu’il vit, que le “Souci” le possède. Comme cependant il y a litige sur son nom, qu’il se nomme homo, puisqu’il est fait d’humus (de terre). » ETMartineau42

Ce qui procure à ce témoignage préontologique une signification particulière, c’est qu’il n’envisage pas seulement en général le « souci » comme quelque chose à quoi le Dasein humain est attaché « toute sa vie durant », mais que le « souci » y apparaît en connexion avec la conception bien connue de l’homme comme composé de corps (terre) et d’esprit. « Cura prima finxit » : cet étant tire l’« origine » de son être du souci. « Cura teneat, quamdiu vixerit » : l’étant en question n’est pas détaché de cette origine, mais tenu en elle, régi par elle aussi longtemps qu’il est « au monde ». L’« être-au-monde [In-der-Welt-sein] » a le caractère ontologique du « souci ». Son nom (homo), cet étant ne le reçoit pas en considération de son être, mais compte tenu de ce en quoi il consiste (humus). Où faut-il voir l’être « originaire » de cette [199] créature ? La décision sur ce point appartient à Saturne, le « temps » [NA: Cf. le poème de HERDER, Das Kind der Sorge, dans Werke, éd. Suphan, t. XXIX, p. 75.]. La détermination d’essence préontologique de l’homme exprimée dans la fable a donc d’entrée de jeu pris en vue le mode d’être qui régit son passage temporel dans le monde. ETMartineau42