Logique

Logik
Lógica

Que faut-il entendre par là, c’est ce que la Logique nous enseigne. Qu’est-ce que cela, la Logique ? Comment parvient-elle à décréter ce qu’il faut entendre par « pensée » ? Cet appel qui nous appelle à penser, est-ce la Logique même ? Ou bien la Logique est-elle, de son côté, soumise à l’appel? Qu’est-ce que cela, qui nous appelle à penser ?
La première question : que signifie le mot « pensée » ? nous a renvoyés à la deuxième : qu’est ce que l’on entend depuis les anciens temps par « pensée » ? Mais nous ne pouvons faire de la deuxième question une question qu’à l’intérieur de la quatrième, car c’est celle qui donne la mesure. C’est dans son sillage que nous nous mouvons lorsque nous tentons maintenant de poser la deuxième. Celle-ci demande : « Qu’est-ce que l’on entend d’après la doctrine traditionnelle de la pensée par « pensée » ? Pourquoi cette doctrine porte-t-elle le titre de « Logique » ? »
[…] Mais on s’irrite de ce que j’en reviens toujours à proposer la question de la Logique depuis l’indication donnée dans la Leçon inaugurale de 1929 : « Qu’est ce que la Métaphysique? » Ceux qui aujourd’hui assistent à ce cours ne peuvent savoir, il est vrai, que depuis le cours « Logique », tenu dans l’été de 1934, sous ce titre de « Logique », se cache la transformation de la Logique en question de l’être du langage, laquelle question est autre chose que de la philosophie linguistique.
[…] Le terme de « Logique » est l’abréviation du titre complet, qui, en grec, est episteme logike, la compréhension qui atteint le logos. Logos est le substantif du verbe legein. La Logique entend le legein dans le sens de legein ti kata tinos – dire quelque chose sur quelque chose. Ce sur quoi le dire s’étend, cela même est dans ce cas ce qui s’étend dessous. Ce qui s’étend dessous s’appelle en grec hypokeimenon, en latin subjectum.
Ce sur quoi le legein dit quelque chose est le sujet du dire; ce qu’est dit sur lui est le prédicat. Le logos, comme legein ti kata tinos est « prédire quelque chose de quelque chose ». Ce quelque chose dont on prédit se trouve, pour chaque dire, de quelque manière là devant. Il le touche de près. Il fait partie de ce qui nous touche de près au sens le plus vaste.
La Logique comme doctrine du logos prend la pensée comme le fait de prédire quelque chose de quelque chose. Le trait fondamental de la pensée est, d’après la Logique, ce dire là. Pour qu’un tel dire soit d’abord possible, il faut que ce dont on prédit quelque chose, le sujet, et d’autre part ce qui est prédit, le prédicat, soient compatibles dans le dire. Ce qui est incompatible ne peut, dans la prédication, être uni par la parole : par exemple le triangle et le rire. La phrase « le triangle rit » ne se laisse pas dire. Dire, si – comme simple énonciation d’une suite de mots. C’est ce que nous venons de faire. Mais la phrase ne se laisse pas proprement dire, c’est-à-dire à partir de son propre dit. Ce qui est désigné par « triangle » et par « rire » introduit quelque contrariété dans la relation de l’un à l’autre. Les mots parlent bien, mais ils se contredisent. Its rendent ainsi la prédication impossible. La prédication pour être possible doit éviter à l’avance la contradiction. C’est pourquoi la règle d’éviter la contradiction a la valeur d’un principe pour la prédication. C’est seulement parce que la pensée est déterminée comme un logos, comme un parler, que la question de la contradiction peut jouer ce rôle de règle de la pensée. [GA8 156]

Ainsi, nul besoin même du refus opposé par la science. La règle fondamentale et communément reçue de la pensée en général, le principe de contradiction à éviter, la « logique » universelle, réduisent cette question à néant. Car la pensée, qui est toujours essentiellement pensée de quelque chose, devrait, comme pensée du rien, contrevenir à sa propre essence. 23 QQMETA

Comme il nous est donc interdit de faire du rien en général un objet, nous sommes déjà au bout de notre interrogation sur le rien — à supposer que, dans cette question, la « logique » soit plus haute instance, l’entendement le moyen et la pensée le chemin, pour saisir originellement le rien et décider de son possible dévoilement. 24 QQMETA

Mais serait-il permis de toucher à la souveraineté de la « logique » ? Se pourrait-il que l’entendement ne soit pas, dans cette question portant sur le rien, réellement souverain ? Avec son aide, nous ne pouvons guère, d’une façon générale, que déterminer le rien et le poser tout au plus comme un problème qui se détruit lui-même. Car le rien est la négation de la totalité de l’étant, l’absolument non-étant… Mais parlant ainsi, nous rangeons le rien sous la détermination plus haute de ce qui est soumis à négation et, par là, de ce qui est nié. Or la négation est, selon la doctrine régnante et jamais contestée de la « logique », un acte spécifique de l’entendement. Comment, dès lors, pouvons nous prétendre, dans la question portant sur le rien et même dans celle de savoir s’il peut être questionné, congédier l’entendement ? Pourtant, ce que nous présupposons là est-il si assuré ? Le ne-pas, l’être-nié et ainsi la négation représentent-ils la détermination plus haute sous laquelle le rien, comme une espèce particulière de ce qui est nié, vient se ranger ? N’y a-t-il le rien que parce qu’il y a le ne-pas, c’est-à-dire la négation ? Ou est-ce l’inverse ? N’y a-t-il la négation et le ne-pas que parce qu’il y a le rien ? C’est ce qui n’est pas décidé, n’est pas même encore érigé expressément en question. Nous affirmons : le rien est plus originel que le ne-pas et la négation. 25 QQMETA

Par là est établie dans se traits fondamentaux la thèse énoncée plus haut : le rien est l’origine de la négation et non l’inverse. Si la puissance de l’entendement est ainsi brisée dans le champ des questions portant sur le rien et sur l’être, c’est aussi le destin de la souveraineté de la « logique » à l’intérieur de la philosophie qui, par là même, se décide. L’idée même de la « logique » se dissout dans le tourbillon d’un interrogation plus originelle. 64 QQMETA

« L’être pur et le rien pur, c’est donc le même. » Cette formule de Hegel (Science de la Logique, livre I, WW III, p. 74) est juste. Être et rien sont dans une appartenance réciproque, non toutefois parce que l’un et l’autre — du point de vue du concept hégélien de la pensée — s’accordent dans leur indétermination et leur immédiateté, mais parce que l’être lui-même est fini dans son essence et ne se manifeste que dans la transcendance de l’être-là en instance extatique dans le rien. 77 QQMETA

S’il est vrai que la question portant sur l’être comme tel est la question englobante de la métaphysique, la question portant sur le rien s’avère être d’une espèce telle qu’elle embrasse l’ensemble de la métaphysique. Mais la question portant sur le rien traverse en même temps l’ensemble de la métaphysique, dans la mesure où elle nous oblige à nous placer devant le problème de l’origine de la négation, c’est-à-dire au fond, devant la décision touchant la souveraineté légitime de la « logique » dans la métaphysique. 78 QQMETA