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LE DICTIONNAIRE MARTIN HEIDEGGER [LDMH]

Fédier (LDMH) – início - começo - Anfang

Anaximandre

quarta-feira 28 de junho de 2023, por Cardoso de Castro

Le mot allemand pour « commencement » n’est pas moins parlant. Der Anfang, en effet, parle à partir du verbe fangen, « prendre », dans tout le vaste éventail d’acceptions qu’a ce terme.

Comment faut-il comprendre « commencement » ? Le mot l’indique lui-même : commencer, c’est le latin cum-initiare, « entrer ensemble en quelque matière », « se mettre mutuellement en état de s’y introduire ». Dans notre manière courante d’entendre le mot « commencement », la nuance qu’apporte le cum n’est plus perçue. Or ce pourrait bien être elle qui nous ouvre à l’aspect véritable que doit présenter le fait de commencer.

Nous croyons en effet naïvement que l’initiative du commencement réside en quelqu’un qui commence. Nous négligeons ainsi de regarder ce qui fait qu’un commencement puisse avoir lieu : à savoir la coïncidence à laquelle renvoie cet « ensemble » que dit – alors que nous ne l’entendons plus – le cum de « commencement ». Quelle coïncidence ? Celle où une incitation vient toucher celui qui va (atteint par son impact) répondre et satisfaire à l’incitation. Coïncidence du commencement, donc, où c’est proprement ensemble – en synergie, voire (comme dit Péguy) en synagogie – qu’ont lieu ce qui incite et ce qui répond à l’incitation.

Le mot allemand pour « commencement » n’est pas moins parlant. Der Anfang, en effet, parle à partir du verbe fangen, « prendre », dans tout le vaste éventail d’acceptions qu’a ce terme. Littré introduit l’article qu’il consacre au verbe « prendre » en notant : « Saisir, mettre dans sa main. » Hand, en allemand comme en anglais, la « main », dérive de radicaux parallèles à fangen. La main saisit, tient, détient ; mais elle apprend aussi à obtenir, à retenir, à entretenir ; ses gestes gagnent une prestesse en laquelle ils se haussent vite jusqu’à la dextérité. Tisser, dessiner, écrire ; toucher à toutes sortes d’instruments et finir par en jouer ; acquérir toutes les manières (car il n’y a de manières que là où il y a des mains). Si l’on songe à cette virtuosité des mains, le mot Anfang se met à parler avec de très étonnantes nuances. Le préfixe an- lui ajoute l’idée d’un mouvement, celui de « venir prendre ». Mais là, prendre, ce n’est pas s’emparer, mais : entreprendre. Encore faut-il prendre « entreprendre » à rebours de l’entente que nous en avons : non pas comme aller entamer quelque action, mais (nous rappelant ce qui a été noté à propos de la synagogie qui règne au sein du commencement) : venir prendre sa part dans ce qui s’entreprend quand il y a commencement. Au commencement, s’entreprennent ce qui commence et ce qui est commencé.

Nous n’avons plus les usages de notre vieille langue. L’abondance des verbes ayant pour préfixe la préposition entre (dans le Lexique de l’ancien français de Frédéric Godefroy, plus de deux cents verbes de ce genre sont recensés, la plupart à la voix réfléchie) signale, chez ceux qui parlaient cette langue, une très fine oreille pour tout ce qui a trait à cette situation si singulière : se trouver dans une véritable relation de réciprocité. Nous connaissons encore quelques rares verbes parlant ainsi, par exemple : s’entrechoquer, s’entr’égorger. Nos ancêtres parlaient, eux, couramment de s’entreserrer, s’entreplaire, s’entredésirer, s’entr’aimer, s’entreconseiller, s’entrepartir (partager ensemble) ; mais tout aussi bien de s’entredéfier, s’entrevaincre, s’entr’empirer ou s’entredésarçonner. La réciprocité ne règne pas que du bon côté des choses.

Considérons à présent ce qui s’entreprend lors du commencement. Ce qui commence et ce qui est commencé y entrent en situation d’entr’appartenance réciproque. Cette entr’appartenance est un lieu de partage très intense et très mouvementé. Qui croyait entreprendre se voit forcé de reconnaître qu’il est bien plutôt entrepris, et ce qui était censé entrepris se découvre au contraire être entreprenant. C’est ainsi que les deux parties, en un vrai commencement, y sont mutuellement parties prenantes.

Comment commence ce commencement ? Il y a bien là un « départ », mais au sens ancien de partir, où c’est un partage qui est départi, un partage qui devient aussitôt, pour ceux qui en héritent, leur destin, à savoir ce dont (d’une manière ou d’une autre) ils auront à s’acquitter tout au long de leur histoire.

Pour nous, il s’agit de voir un tel commencement dans la parole d’Anaximandre  . Heidegger y parvient lors de son intense travail de l’année 1941-1942. En mai 1942, il confie à l’historien d’art Kurt Bauch qu’il a « trouvé le commencement ».

Un tel commencement a bien lieu au sein de la parole d’Anaximandre  . Ce qu’a découvert Heidegger, c’est la manière dont cette parole s’atteste commençante. Elle l’est à titre de « premier commencement ». Heidegger s’attaque à la tâche de discerner en quoi ce commencement-là est premier. Or il n’est pas premier au sens d’une énumération, comme s’il pouvait arriver qu’un second commencement pût succéder au premier. En un sens, le premier est l’unique. Ce qui n’interdit en rien qu’un autre commencement soit aujourd’hui à l’ordre du jour. Mais ce commencement ne sera autre, que s’il parvient à garder en mémoire le premier commencement, ne serait-ce que pour garder avec lui un rapport constant, grâce auquel il soit précisément possible de recommencer, mais alors autrement.


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