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Sein und Zeit

Être et temps : § 52. L’être quotidien pour la fin et le concept existential plein de la mort.

Ser e Tempo

sexta-feira 4 de janeiro de 2013, por Cardoso de Castro

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MARTIN HEIDEGGER, Être et temps, traduction par Emmanuel Martineau  . ÉDITION NUMÉRIQUE HORS-COMMERCE

HEIDEGGER, Martin. L’Être et le temps. Tr. Jacques Auxenfants  . (ebook-pdf)

Dans une pré-esquisse existentiale, l’être pour la mort a été déterminé comme l’être pour le pouvoir-être le plus propre, absolu et indépassable. L’être existant pour cette possibilité se transporte devant la pure et simple impossibilité de l’existence. Par-delà cette caractérisation apparemment vide de l’être pour la mort, s’est dévoilée la concrétion de cet être dans la modalité de la quotidienneté. Conformément à la tendance échéante essentielle à celle-ci, l’être pour la mort s’est signalé comme une esquive recouvrante devant elle. Mais si, auparavant, la recherche avait passé de la pré-esquisse formelle de la structure ontologique de la mort à l’analyse concrète de l’être quotidien pour la fin, il convient maintenant, en suivant la direction inverse, de conquérir le concept existential plein de la mort grâce à une interprétation plus complète de l’être quotidien pour la fin.

L’explication de l’être quotidien pour la mort s’en était tenue au bavardage du On : on finit bien par mourir, mais provisoirement, ce n’est pas encore le cas. Jusqu’à maintenant, nous n’avons interprété que le « on meurt » comme tel. Dans son « un jour, mais pour l’instant pas encore », la quotidienneté concède quelque chose comme une certitude de la mort. Que l’on meure, nul n’en doute. Seulement, ce « ne-pas-douter » n’a pas besoin déjà d’abriter en lui l’être-certain qui correspond à ce comme quoi la mort, prise au sens de la possibilité insigne qu’on a caractérisée, se tient engagée dans le Dasein. Car si la quotidienneté en reste à cette concession équivoque de la « certitude » de la mort, c’est afin de [256] mieux l’affaiblir, recouvrant ainsi encore davantage le mourir, et de s’alléger l’être-jeté dans la mort.

Le recul recouvrant devant la mort est incapable, selon son propre sens, d’être authentiquement « certain » - et pourtant il l’est. Qu’en est-il alors de cette « certitude » de la mort ?

Être-certain d’un étant, cela veut dire : le tenir pour vrai en tant qu’il est vrai. Mais la vérité signifie l’être-découvert de l’étant. Or tout être-découvert se fonde ontologiquement dans la vérité la plus originaire, l’ouverture du Dasein [1]. Le Dasein, en tant qu’étant ouvert-ouvrant et découvrant, est essentiellement « dans la vérité ». Or la certitude se fonde dans la vérité ou lui appartient cooriginairement. L’expression « certitude », tout comme le terme « vérité », a une double signification. Originairement, vérité veut dire autant qu’être-ouvrant, en tant que comportement du Dasein. La signification dérivée de celle-ci désigne l’être-découvert de l’étant. De manière correspondante, la certitude signifie originairement autant que l’être-certain comme mode d’être du Dasein. Suivant la signification dérivée, cependant, même l’étant dont le Dasein peut être certain est nommé « certain ».

Un mode de la certitude est la conviction. En celle-ci, le Dasein se laisse déterminer uniquement par le témoignage de la chose découverte (vraie) elle-même son être compréhensif pour elle. Le tenir-pour-vrai, en tant que se-tenir-dans-la-vérité, est suffisant s’il se fonde dans l’étant découvert lui-même, et, en tant qu’être pour l’étant ainsi découvert, s’il s’est rendu à lui-même transparent quant à son adéquation à lui. Une telle suffisance fait défaut à l’invention arbitraire ou au simple « avis » sur un étant.

La suffisance du tenir-pour-vrai se mesure selon la prétention de vérité à laquelle il appartient. Cette prétention reçoit sa légitimité du mode d’être de l’étant à ouvrir et de l’orientation de l’ouvrir. Suivant la diversité de l’étant et conformément à la tendance et à la portée directrices de l’ouvrir, la modalité de la vérité, et du même coup de la certitude, se modifie. La présente méditation demeure restreinte à une analyse de l’être-certain vis-à-vis de la mort, qui finalement représente une certitude insigne du DASEIN.

Le plus souvent, le Dasein quotidien recouvre la possibilité la plus propre, absolue et indépassable de son être. Cette tendance factice au recouvrement confirme la thèse qui dit que le Dasein, en tant que factice, est dans la « non vérité » [2]. Du coup, la certitude qui appartient à [257] un tel recouvrir de l’être pour la mort doit nécessairement être un tenir-pour-vrai inadéquat, et non pas, par exemple, une incertitude au sens du doute. La certitude inadéquate tient ce dont elle est certaine dans l’être-recouvert. Si l’« on » comprend la mort comme un événement survenant dans le monde ambiant, la certitude relative à lui n’atteint pas l’être pour la fin.

On dit : il est certain que « la » mort vient. On le dit, et le On ne voit pas que, pour pouvoir être certain de la mort, il faut à chaque fois que le Dasein propre soit lui-même certain de son pouvoir-être le plus propre et absolu. On dit que la mort est certaine, et l’on transplante alors dans le Dasein l’apparence qu’il serait lui-même certain de sa mort. Mais où se trouve le fondement de l’être-certain quotidien ? Manifestement pas dans une simple persuasion mutuelle. Et pourtant, l’on expérimente chaque jour le « mourir » d’autrui. La mort est un indéniable « fait d’expérience ».

De quelle manière l’être quotidien pour la mort comprend la certitude ainsi fondée, c’est ce qui se trahit lorsqu’il tente de « penser » avec une prudence critique - c’est-à-dire adéquatement - sur la mort. Tous les hommes, autant que l’on sache, « meurent ». La mort est pour tout homme au plus haut degré vraisemblable, mais pourtant pas « inconditionnellement » certaine. En toute rigueur, il n’est permis d’attribuer à la mort « qu’ » une certitude empirique. Elle reste nécessairement en deçà de la certitude la plus haute, de la certitude apodictique que nous atteignons dans certains domaines de la connaissance théorique.

Dans cette détermination « critique » de la certitude de la mort et de sa pré-cédence se manifeste d’abord de nouveau la méconnaissance - caractéristique de la quotidienneté - du mode d’être du Dasein et de l’être pour la mort qui lui appartient. Que le décéder en tant qu’événement survenant ne soit « qu’ » empiriquement certain, cela ne décide rien sur la certitude de la mort. Il est possible que les cas de mort soient pour le Dasein une occasion factice de se rendre d’abord en général attentif à la mort. Cependant, tant qu’il demeure dans la certitude empirique qu’on a caractérisée, le Dasein est absolument incapable de devenir certain de la mort considérée en son mode d’« être ». Bien que le Dasein, dans la publicité du On, ne « parle » apparemment que de cette certitude « empirique » de la mort, il ne s’en tient pourtant pas, au fond, exclusivement et primairement aux cas de mort survenants. Esquivant sa mort, même l’être quotidien pour la fin est pourtant autrement certain de la mort que lui-[258] même, dans une considération purement théorique, ne voudrait le croire. Cet « autrement » se voile le plus souvent aux yeux de la quotidienneté, qui n’ose pas s’y rendre translucide. Avec son affection quotidienne plus haut caractérisée, à savoir la supériorité « anxieusement » préoccupée, apparemment sans angoisse vis-à-vis du « fait » certain de la mort, la quotidienneté concède une certitude « plus haute » que la certitude seulement empirique. On sait la mort certaine, et pourtant l’on n’est pas proprement certain d’elle. La quotidienneté échéante du Dasein connaît la certitude de la mort et esquive néanmoins l’être-certain. Mais cette esquive atteste phénoménalement par ce devant quoi elle recule que la mort doit être conçue comme la possibilité la plus propre, absolue, indépassable, certaine.

On dit : la mort vient certainement, mais provisoirement pas encore. Avec ce « mais », le On dénie à la mort la certitude. Le « provisoirement pas encore » n’est pas un simple énoncé négatif, mais une auto-explicitation du On, par laquelle il se renvoie lui-même à ce qui de prime abord demeure encore accessible à la préoccupation du Dasein. La quotidienneté se presse vers le caractère pressant de la préoccupation et secoue les liens de la « pensée » fatigante, « oisive de la mort ». Celle-ci est renvoyée à « un jour, plus tard » et, cela sous l’invocation de l’« échelle commune ». Le On recouvre ainsi cette spécificité de la certitude de la mort: être possible à tout instant. Avec la certitude de la mort se concilie l’indétermination de son quand. C’est elle qu’esquive l’être pour la mort quotidien en lui prêtant de la déterminité. Mais un tel déterminer ne saurait signifier que l’on calculera le quand de l’intervention du décès. Devant une telle déterminité, le Dasein fuit au contraire. La préoccupation quotidienne se détermine l’indéterminité de la mort certaine de telle manière qu’elle interpose devant elle les urgences et les possibilités contrôlables du quotidien le plus proche.

Mais le recouvrement de l’indéterminité frappe du même coup la certitude. Ainsi se voile le caractère de possibilité le plus propre de la mort : être certaine et en même temps indéterminée, c’est-à-dire possible à tout instant.

L’interprétation complète du parler quotidien du On sur la mort et le mode sur lequel elle se tient engagée dans le Dasein nous a conduit aux caractères de la certitude et de l’indéterminité. Il est désormais possible de délimiter le concept ontologico-existential plein de la mort grâce aux déterminations suivantes : la mort comme fin du Dasein est la possibilité [259] la plus propre, absolue, certaine et comme telle indéterminée, indépassable du Dasein. La mort est, en tant que fin du DASEIN, dans l’être de cet étant pour sa fin.

La délimitation de la structure existentiale de l’être pour la fin se tient au service de l’élaboration d’un mode d’être du Dasein où celui-ci peut être total en tant que Dasein. Que même le Dasein quotidien soit à chaque fois déjà pour sa fin, autrement dit se confronte constamment, quoique « fugacement », avec sa mort, cela montre que cette fin qui conclut et détermine l’être-tout n’est nullement quelque chose où le Dasein ne ferait qu’arriver finalement lors de son décès. Dans le Dasein, en tant qu’étant pour sa mort, l’extrême ne-pas-encore de lui-même, par rapport auquel tous les autres sont en retrait, est toujours déjà engagé. C’est pourquoi l’inférence formelle qui conclurait du ne-pas-encore du Dasein - qui plus est, interprété de manière ontologiquement inadéquate comme excédent - à sa non-totalité est illégitime. Le phénomène du ne-pas-encore pensé à partir du en-avant-de-soi est si peu, comme la structure de souci en général, une instance contre un être-tout existant possible que c’est cet être-en-avant-de-soi qui rend tout d’abord possible un tel être pour la fin. Le problème de l’être-tout possible du Dasein que nous sommes à chaque fois nous-mêmes ne demeure donc légitime que si le souci comme constitution fondamentale du Dasein est pensé en « connexion » avec la mort comme possibilité extrême de cet étant.

La question se pose néanmoins de savoir si ce problème a été jusqu’ici suffisamment élaboré. L’être pour la mort se fonde dans le souci. En tant qu’être-au-monde jeté, le Dasein est à chaque fois déjà remis à sa mort. Étant pour sa mort, il meurt facticement et même constamment aussi longtemps qu’il n’est pas venu à son décès. Le Dasein meurt facticement, cela veut dire en même temps qu’il s’est toujours déjà, en son être pour la mort, décidé de telle ou telle manière. Le recul quotidiennement échéant devant elle est un être inauthentique pour la mort. L’inauthenticité a une possible authenticité à son fondement [3]. L’inauthenticité caractérise un mode d’être où le Dasein peut se placer et s’est aussi le plus souvent toujours déjà placé, mais où il ne doit pas nécessairement et constamment se placer. Parce que le Dasein existe, il se détermine à chaque fois en tant qu’étant comme il est à partir d’une possibilité qu’il est et comprend lui-même.

Le Dasein peut-il aussi comprendre authentiquement sa possibilité la plus propre, absolue et indépassable, certaine et comme telle indéterminée, c’est-à-dire se tenir dans un [260] être authentique pour sa fin ? Aussi longtemps que cet être pour la mort authentique n’est pas dégagé et déterminé ontologiquement, une carence essentielle s’attache à l’interprétation existentiale de l’être pour la fin.

L’être pour la mort authentique signifie une possibilité existentielle du Dasein. Ce pouvoir-être ontique doit de son côté être ontologiquement possible. Quelles sont les conditions existentiales de cette possibilité ? Comment doit-elle elle-même devenir accessible ?


Ver online : Sein und Zeit (1927), ed. Friedrich-Wilhelm von Herrmann, 1977, XIV, 586p. Revised 2018 [GA2]


[1Cf. supra, §44, p. [212] sq., spécialement p. [219] sq.

[2Cf. supra, §44, p. [222].

[3De l’inauthenticité du Dasein, il a été traité supra, §9, p. [42] sq., §27, p. [130] et surtout, §38, p. [175] sq.