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Sein und Zeit

Être et temps : § 13. Exemplification de l’être-à… à partir d’un mode dérivé : la connaissance du monde.

Ser e Tempo

sábado 9 de julho de 2011, por Cardoso de Castro

Vérsions hors-commerce:

MARTIN HEIDEGGER, Être et temps, traduction par Emmanuel Martineau  . ÉDITION NUMÉRIQUE HORS-COMMERCE

HEIDEGGER, Martin. L’Être et le temps. Tr. Jacques Auxenfants  . (ebook-pdf)

Si l’être-au-monde est une constitution fondamentale du Dasein, où il se meut non pas seulement en général, mais - sur le mode de la quotidienneté - de façon privilégiée, il doit donc également être toujours déjà expérimenté ontiquement. Un voilement total du phénomène serait d’autant plus inintelligible que le Dasein dispose d’une compréhension [60] d’être de lui-même, si indéterminée soit-elle. Néanmoins, dès l’instant que le « phénomène de la connaissance du monde » a été lui-même saisi, il a été soumis à une interprétation « extérieure », formelle. Un signe en est la position, encore usuelle aujourd’hui de la connaissance comme une « relation entre sujet et objet », qui contient en elle autant de « vérité » que de vide. Sujet et objet, cependant, ne coïncident point avec Dasein et monde.

Même s’il était licite de déterminer d’abord ontologiquement l’être-à… à partir de l’être-au-monde connaissant, la tâche ne s’en imposerait pas moins en premier lieu de caractériser phénoménalement la connaissance comme un être-au-monde et pour le monde. Lorsque l’on réfléchit sur ce rapport d’être, est d’abord donné un étant, nommé nature, au titre de ce qui est connu. Or il est impossible de rencontrer le connaître lui-même à même cet étant. Si le connaître « est » en général, il appartient uniquement à l’étant qui connaît. Seulement, même dans cet étant, la chose-homme, le connaître n’est pas sous-la-main. En tout cas, il n’y est pas constatable extérieurement comme le sont par exemple des propriétés corporelles. Or si le connaître appartient à cet étant mais n’en est pas une propriété extérieure, il doit être « à l’intérieur ». Plus l’on établit univoquement que le connaître est d’abord et proprement « à l’intérieur » et qu’il n’a absolument rien du mode d’être d’un étant physique et psychique, et plus l’on croit progresser sans présupposés dans la question de l’essence de la connaissance et dans l’éclaircissement du rapport entre sujet et objet. Car c’est alors seulement que peut surgir un problème, c’est-à-dire la question de savoir comment ce sujet connaissant sort de sa « sphère » intérieure, comment il passe dans une sphère « autre et extérieure », comment le connaître peut en général avoir un objet, comment l’objet doit lui-même être pensé pour qu’en fin de compte le sujet le connaisse sans avoir besoin de risquer le saut dans une autre sphère. Mais, quelles que soient les multiples variantes de cette interrogation, toujours demeure tue la question du mode d’être de ce sujet connaissant dont pourtant l’on prend constamment et implicitement toujours déjà l’être pour thème lorsqu’on traite de son connaître. Sans doute, l’on assure à chaque fois que l’intérieur, la « sphère intérieure » du sujet n’est absolument pas pensée comme une « boîte » ou un « enclos ». Mais que signifie positivement l’« intérieur » de l’immanence où le connaître est de prime abord enfermé ? Comment le caractère d’être de cet « être-intérieur » du connaître se fonde-t-il dans le mode d’être du sujet ? Sur ces points, le silence règne. En fait, de quelque manière que cette sphère intérieure soit interprétée, dès l’instant qu’est posée la question de savoir comment le connaître peut réussir à en « sortir » et à conquérir une « transcendance », il apparaît avec éclat que l’on ne peut que trouver le [61] connaître problématique tant que l’on n’a point d’abord clarifié la modalité et l’essence de ce connaître si riche en énigmes.

En adoptant un tel point de départ, on demeure aveugle à ce que la thématisation la plus provisoire du phénomène de la connaissance implique déjà tacitement : le connaître est un mode d’être du Dasein comme être-au-monde, il a sa fondation ontique dans cette constitution d’être. À cette invocation de la donnée phénoménale selon laquelle le connaître est un mode d’être de l’être-au-monde, on pourrait objecter que pareille interprétation du connaître revient à annuler le problème de la connaissance. Qu’est-ce qui peut bien en effet faire encore problème si l’on présuppose que le connaître est déjà auprès de ce monde que pourtant il ne doit atteindre que moyennant la transcendance du sujet ? Mais indépendamment du fait que cette dernière question procède manifestement d’un « point de vue » constructif, non légitimé phénoménalement, quelle instance décidera-t-elle donc de la question de savoir si et en quel sens doit exister un problème de la connaissance - quelle instance, sinon le phénomène du connaître lui-même et le mode d’être du connaissant ?

Or si nous demandons maintenant ce qui se montre dans la réalité phénoménale du connaître lui-même, il est constant que le connaître se fonde lui-même préalablement dans un être-déjà-auprès-du-monde essentiellement constitutif de l’être du Dasein. Cet être-déjà-auprès ne se réduit nullement à la contemplation béate d’un pur sous-la-main. L’être-au-monde, en tant que préoccupation, est capté par le monde dont il se préoccupe. Pour que devienne possible le connaître en tant que détermination considérative du sous-la-main, il est préalablement besoin d’une déficience de l’avoir-affaire préoccupé avec le monde. C’est en se retirant de toute production, de tout maniement, etc., que la préoccupation se transporte dans le seul mode d’être-à… alors résiduel : dans le ne-plus-faire-que-séjourner-auprès-de… C’est sur la base de ce mode d’être vis-à-vis du monde qui ne laisse plus l’étant intramondain faire encontre que dans son pur a-spect (eidos), c’est en tant que forme de ce mode d’être que devient possible un avisement [1] exprès de l’étant ainsi rencontré. Cet a-visement est toujours une orientation déterminée vers…, une visée du sous-la-main. D’emblée, il prélève sur l’étant rencontré un « point de vue ». Un tel avisement revêt lui-même la modalité d’un se-tenir spécifique auprès de l’étant intramondain. Dans ce « séjour » - en tant que retrait [2] de tout [62] maniement ou utilisation - s’accomplit l’accueil [3] du sous-la-main. L’accueillir a le mode d’accomplissement de l’advocation et de la discussion de quelque chose comme quelque chose. Sur la base de cet expliciter au sens le plus large, l’accueillir devient un déterminer. L’accueilli et le déterminé peut être exprimé dans des propositions, et être conservé et préservé en tant qu’ainsi énoncé. Cette conservation accueillante d’un énoncé sur… est elle-même une guise de l’être-au-monde, et ne saurait être interprétée comme un « processus » par lequel un sujet se procure des représentations de quelque chose et les stocke à l’« intérieur » de lui-même, quitte à se demander éventuellement à leur propos comment elles « s’accordent » avec la réalité.

Tandis qu’il s’oriente vers l’étant et qu’il le saisit, le Dasein ne sort point de sa sphère intérieure où il serait d’abord enfermé, mais, conformément à son mode d’être originel, il est toujours déjà « dehors », auprès d’un étant qui lui fait encontre dans le monde à chaque fois déjà découvert. Quant au séjour déterminant auprès de l’étant à connaître, il n’est pas davantage un abandon de la sphère intérieure : même en cet « être-dehors » auprès de l’objet, le Dasein est « à l’intérieur », mais en ce sens précis que c’est lui-même, en tant qu’être-au-monde, qui connaît. Enfin, l’accueil du connu ne doit pas être compris comme un retour, après la sortie qui lui a permis de s’en saisir, du sujet, chargé de son butin, dans la « retraite » de la conscience ; au contraire, même en tant qu’il accueille, préserve et conserve, le Dasein connaissant demeure, en tant que Dasein, dehors. Le « simple » savoir d’une relation d’être de l’étant, la « pure » représentation de cette relation, le fait d’y « penser, sans plus » ne me placent pas moins auprès de l’étant, dehors dans le monde, que ne le fait une saisie originaire. Même l’oubli, où apparemment s’efface toute relation d’être à l’étant auparavant connu, doit être conçu comme une modification de l’être-à… originaire, et autant vaut de toute illusion et de toute erreur.

La connexion de dérivation qu’on vient de mettre en évidence entre les modes de l’être-au-monde constitutifs de la connaissance du monde le montre clairement : dans le connaître, le Dasein acquiert une nouvelle situation d’être à l’égard du monde à chaque fois déjà découvert dans le Dasein. Cette nouvelle possibilité d’être peut se configurer de façon autonome, elle peut devenir une tâche et, sous forme de science, gouverner l’être-au-monde. Cependant, pas plus que le connaître ne crée pour la première fois un « commercium » du sujet avec un monde, pas plus celui-ci ne résulte d’une action exercée par le monde sur un sujet. Le connaître est un mode du Dasein fondé sur l’être-au-monde. C’est pourquoi l’être-au-monde comme constitution fondamentale réclame une interprétation préalable.


Ver online : Sein und Zeit (1927), ed. Friedrich-Wilhelm von Herrmann, 1977, XIV, 586p. Revised 2018 [GA2]


[1NT: Hin-sehen, littéralement ad-videre ; cf. notre expression : « aviser quelque chose ».

[2NT: Jeu admirable et hélas intraduisible sur Aufenthalt (séjour) et Sichenthalten (retrait).

[3NT: Vernehmen, ordinairement la perception. (Heidegger a notamment étudié le mot dans l’Einführung in die Metaphysik, G.A., t. XL, p. 146-147 = 1ère éd., p. 105.)