Si cependant un tel défi projetant est véritablement poésie, alors ce qui nous est jeté par lui ne saurait être une quelconque intimidation. Le projet véritablement poétique est bien plutôt l’ouverture de cela en quoi le Dasein comme historial est déjà jeté. Et cela, c’est la terre, et, pour un peuple, c’est toujours sa terre, le fond se refermant où il repose avec tout ce que – encore retiré à lui-même – il est déjà. Aussi bien, cette donation comprise dans le projet doit-elle être re-puisée dans le fond refermé, et proprement re-posée sur celui-ci. C’est ainsi que le fondement, en tant que portant, est pour la première fois fondé et re-pris dans l’ouvert du Dasein. Si la poésie est fondation, ce n’est pas seulement au sens de la libre dispensation, mais en même temps au sens de ce fonder qui re-pose le fondement. Le projet porte cet “autrement qu’autrement” à l’ouvert ; mais, au fond, il ne s’agit de rien d’étranger, mais seulement de la propriété la plus propre, bien que jusqu’ici demeurée en retrait, du Dasein historial (Hw. 62). OOA1935: II
Si le projet poétique vient du rien, c’est dans la mesure précise où il n’emprunte point son offrande à l’habituel, au traditionnel ; cependant, il ne provient en aucun cas de rien dans la mesure où ce qui est ad-jeté par lui n’est autre que la destination, tenue en dépôt, du Dasein historial (Hw. 62). OOA1935: II
Mais qu’est-ce enfin que cela : commencer ? Réponse : faire le saut dans l’origine. Celle-ci n’est pas constituée par là, mais l’advenir de la vérité est enduré dans le fonder poétique. Or telle est l’essence du créer : capturer dans le projet en le supportant, soutenir le litige qui se lève dans l’oeuvre, in-sister dans le domaine insolite de la vérité nouvelle, faire le saut dans un milieu du Da-sein qui ne se détermine que dans le saut lui-même. Le créer ne se produit que dans la solitude d’une unicité singulière. Par elle, la vérité du Dasein historial d’un peuple est décidée. OOA1935: II
L’on ne saurait se dérober à cette phrase, c’est-à-dire à tout ce qui s’abrite derrière elle, en objectant par exemple à Hegel la constatation suivante : depuis le temps de son Esthétique, qui fut professé pour la dernière fois au semestre d’hiver 1828-1829, nous n’en avons pas moins vu éclore plus d’une oeuvre d’art de grande valeur. Car cette possibilité, Hegel lui-même est le dernier à l’avoir niée. Mais la question demeure : l’art est-il encore une guise essentielle et nécessaire en laquelle provient la vérité décisive pour notre Dasein historial, ou bien n’est-il plus cela ? Et s’il ne l’est plus, est-ce par exemple parce qu’il ne peut plus l’être ? (Hw. 66-67). OOA1935: II
Cette décision spirituelle ne peut être que préparée dans un long travail. Ce n’est point la rectitude ou la fausseté d’une théorie esthétique qui est ici en cause ; est au contraire soumise à décision cette question : savons-nous ce que l’art et l’oeuvre d’art peuvent et doivent être dans notre Dasein historial : un saut originel, et alors un sur-saut – ou bien un simple accompagnement, et ainsi un simple ajout après coup (Hw. 65). OOA1935: II