Bewusstsein [SZ] Gewissen [SZ]
Bewusstsein
Les origines essentielles de l’anthropologie traditionnelle, la définition grecque et le fil conducteur théologique, indiquent que, par-delà la détermination d’essence de l’étant « homme », la question de son être demeure oubliée, et que cet être est bien plutôt conçu comme « allant de soi » au sens de l’être-sous-la-main des autres choses créées. Dans l’anthropologie moderne, ces deux fils conducteurs s’enchevêtrent avec le point de départ méthodique pris dans la res cogitans, la conscience [Gewissen], le tissu des vécus. Mais comme les cogitationes demeurent tout aussi indéterminées ontologiquement, quand elles ne sont à nouveau prises tacitement pour « allant de soi » comme quelque chose de « donné » dont l’être n’est soumis à aucune question, la problématique anthropologique reste indécise en ses fondations ontologiques décisives. [EtreTemps10]
Gewissen
Tout d’abord, la conscience [Gewissen] doit être poursuivie jusqu’en ses fondements et ses structures existentiales, et manifestée — la constitution d’être de cet étant jusqu’ici conquise [269] étant maintenue — comme phénomène du Dasein. L’analyse ontologique de la conscience [Gewissen] [NT: Ici comme dans tout le chapitre, la « conscience [Gewissen] » (Gewissen) dont parle H. est toujours celle que nous qualifions couramment de « morale », non pas la conscience [Gewissen] (Bewusstsein) au sens du rapport à soi primordial du sujet représentant (soi ou autre chose). Lorsque, dans d’autres chapitres, c’est à cette conscience [Gewissen]-ci que H. fait allusion, le contexte est toujours assez clair pour qu’il soit superflu de le confirmer.] ainsi engagée est antérieure à toute description et classification psychologique des vécus de la conscience [Gewissen] , et elle n’est pas moins indépendante d’une « explication » biologique, c’est-à-dire d’une dissolution du phénomène. Cependant, elle se distingue tout autant d’une interprétation théologique de la conscience [Gewissen], voire d’une invocation de ce phénomène pour démontrer l’existence de Dieu ou d’une conscience [Gewissen] « immédiate » de Dieu.
Cela dit, en dépit des limitations qui viennent d’être assignées à cette recherche, sa portée ne doit être ni surestimée, ni soumise à des requêtes inadéquates et ainsi amoindrie. La conscience [Gewissen], en tant que phénomène du Dasein, n’est point un fait qui surviendrait et serait parfois sous-la-main. Elle n’« est » que selon le mode d’être du Dasein, et elle ne s’annonce jamais, à titre de fait, qu’avec et dans l’existence factice. L’exigence d’une « preuve empirique inductive » de la « factualité » de la conscience [Gewissen] et de la véracité de sa « voix » procède d’une perversion ontologique du phénomène, perversion à laquelle participe, du reste, toute critique supérieure qui prétendrait que la conscience [Gewissen] ne survient que de temps à autre, et lui dénierait ainsi le statut de « fait universellement constaté et constatable ». À de semblables preuves et contre-preuves, il n’est pas question de soumettre le fait de la conscience [Gewissen]. Cela n’est point un défaut, mais seulement l’indice de son hétérogénéité ontologique par rapport à tout étant sous-la-main dans le monde ambiant.
La conscience [Gewissen] donne « quelque chose » à comprendre, elle ouvre. De cette caractéristique formelle, un impératif résulte : le phénomène doit être repris dans l’ouverture du Dasein. Cette constitution fondamentale de l’étant que nous sommes à chaque fois nous-mêmes est elle-même constituée par l’affection, le comprendre, l’échéance et le parler. L’analyse plus pénétrante de la conscience [Gewissen] la dévoilera comme appel. L’appeler est un mode du parler. L’appel de la conscience [Gewissen] a le caractère de l’ad-vocation [An-ruf] du Dasein vers son pouvoir-être-Soi-même le plus propre, et cela selon la guise de la con-vocation [Aufruf] à son être-en-dette le plus propre.
L’interprétation existentiale est nécessairement éloignée de l’entente ontique quotidienne [alltäglich], quand bien même elle dégage les fondements ontologiques de ce que l’explicitation vulgaire de la conscience [Gewissen], dans certaines limites, a toujours compris et, en tant que « théorie » de la conscience [Gewissen], porté à un concept. Aussi l’interprétation existentiale a-t-elle besoin d’une confirmation par une critique de l’explicitation vulgaire de la conscience [Gewissen]. À partir du phénomène une fois dégagé peut être fixée la mesure en laquelle il atteste un pouvoir-être authentique du Dasein. À l’appel de la conscience [Gewissen] appartient un entendre possible. La compréhension de l’ad-vocation [An-ruf] se dévoile comme vouloir-avoir-conscience [Gewissen]. [270] Mais, dans ce phénomène est contenu le choisir existentiel — que nous cherchons — du choix d’un être-Soi-même, choisir que nous appelons, conformément à sa structure existentiale, la résolution. Du coup, le plan des analyses de ce chapitre nous est prédonné : les fondements ontologico-existentiaux de la conscience [Gewissen] (§ 55) ; le caractère d’appel de la conscience [Gewissen] (§ 56) ; la conscience [Gewissen] comme appel du souci (§ 57) ; compréhension de l’ad-vocation [An-ruf] et dette (§ 58) ; l’interprétation existentiale de la conscience [Gewissen] et l’explicitation vulgaire de la conscience [Gewissen] (§ 59) ; la structure existentiale du pouvoir-être authentique attesté dans la conscience [Gewissen] (§ 60). [EtreTemps54]