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Contrariamente a todas as filosofias da natureza e da vida, nomeadamente as de Bergson e Dilthey, a fenomenologia do Dasein rejeita a evidência de um parentesco primordial ou de uma fusão do homem com a “substância viva”. A partir de que princípio? A natureza e a vida só são acessíveis num mundo, o do Dasein. A vida é um tipo particular de ser”, reconhece Sein und Zeit, “mas que é essencialmente acessível apenas no Dasein”. O que é este “ser particular” da vida, nós não sabemos; e só o podemos determinar hipoteticamente através de uma abordagem privativa baseada no ser-no-mundo. Não temos qualquer intuição da vida fora do mundo. Como poderíamos basear o Dasein numa “realidade viva” ontologicamente indeterminável?
original
A l’opposé de toutes les philosophies de la nature et de la vie, en particulier celles de Bergson et de Dilthey, la phénoménologie du Dasein récuse l’évidence d’une parenté ou d’une fusion primordiale de l’homme avec la « substance vivante ». A partir de quel principe? La nature comme la vie ne sont accessibles que dans un monde, celui du Dasein. « La vie est un genre d’être particulier, reconnaît Sein und Zeit mais qui n’est essentiellement accessible que dans le Dasein. » Quel est cet « être particulier » de la vie, nous l’ignorons; et nous ne pouvons le déterminer hypothétiquement que par une démarche privative à partir de l’être-au-monde. Nous n’avons pas, hors du monde, d’intuition de la vie. Comment pourrions-nous fonder le Dasein sur une « réalité vivante » ontologiquement indéterminable?
Cette position se trouve fermement maintenue depuis les cours antérieurs à Être et Temps, jusqu’aux derniers séminaires, notamment celui avec Fink (1966-1967), en passant par la Lettre sur l’Humanisme, et sa Critique de l’animal rationale. « Le corps de l’homme est quelque chose d’essentiellement autre qu’un organisme animal. » Faire de l’homme un étage spirituel rajouté au-dessus d’une réalité biologique fondamentale, c’est tomber soit dans le biologisme, c’est-à-dire dans une forme du déterminisme scientiste, soit dans une « vague expérience de la vie ». C’est oublier aussi qu’il n’y a pas de réalité « naturelle » pour l’homme qui ne se présente comme l’objet d’une préoccupation (Besorgen) de quelque espèce, c’est-à-dire d’un « Souci » (Sorge) lié à la temporalité du monde. Toute compréhension de l’être est compréhension du temps. L’expérience de la nature et du corps s’inscrit nécessairement dans cette ouverture temporelle, finie, marquée par la mort, limite vers laquelle l’animal ne saurait se projeter. A Fink qui invoque un fond vital obscur, « fond cosmique » dont nous aurions une compréhension par la simple » proximité ontique », Heidegger répond qu’une telle proximité ne saurait avoir un sens purement spatial et factuel, mais le sens d’une possibilité, d’une « ouverture », fût-elle rabaissée, déficiente.
Sein und Zeit s’efforce longuement de montrer que le concept de l’étant naturel n’est pas originaire. Loin de fonder le monde, il dérive indirectement de cette expérience de la disponibilité pratique des choses qui constitue lu structure primordiale du monde, « La nature est elle-même un étant rencontré à l’intérieur du monde » : la formule revient sous plusieurs formes. « La nature… est un cas-limite de l’être de l’étant intramondain possible ». Ou encore,.. « le phénomène de la ” nature ” au sens du concept romantique de la nature n’est saisissable ontologiquement qu’à partir du concept de monde »… Le concept de « monde » n’est pas encore pris ici, comme il le sera plus tard, au sens de la configuration historiale d’une époque. Il ne signifie pas comme chez Kant lu totalité des objets d’une expérience possible. Le monde, répétons-le, est toujours un monde ontiquement déterminé (peut-être une « culture » particulière) qui s’offre au Dasein comme un complexe de possibilités pratiques quotidiennes. Le monde au sens existential signifie le réseau de « destinations », de « en vue de… » qui relie et renvoie les uns aux autres les objets d’usage courant pour un être-là particulier. En ce sens il est toujours non thématisé. La « mondanéité » est la structure ontologique-existentiale de ces ensembles ontiques.
L’analyse vu donc montrer que le concept d’une « pure nature » présente de façon indépendante comme un être-subsistant (Vorhandenheit) est dérivé par privation de la compréhension antécédente de l’être-disponible (Zuhandenheit) à savoir l’être des instruments, outils, ou objets d’usage quotidien. Tout concept de la nature comme en-soi autonome — aussi bien en physique, chimie, biologie que dans la métaphysique, par exemple celle de la substance étendue — tout concept de ce genre présuppose une « démondanéisation » du monde. La présence prétendue immédiate de la nature est en fait le résultat d’une abstraction. Ce renversement critique heideggérien vise au-delà du concept de nature toute idée de présence subsistante depuis les Grecs jusqu’à la science moderne.
La relation immédiate et « naturelle » se trouve être en fait la relation à l’étant-disponible, au Werkwelt, comme le disent les Prolégomènes de 1925, c’est-à-dire au « monde de l’ouvrage « (sous-entendu : à faire), ou encore aux « ustensiles » quotidiens, que sont les vêtements, le stylo, le verre et l’assiette, mais aussi la montre, la route. L’étant naturel, par exemple le bois et le métal du marteau, est initialement découvert à même l’outil. « Par son emploi, l’ustensile utilisé fait découvrir en même temps que lui-même la ” nature ” révélée à travers les produits naturels. » Remarquons les guillemets : ils ne signifient pas que la nature est illusoire, mais qu’elle est quelque chose de médiat, d’inféré à partir d’une expérience plus originelle, celle, « culturelle », de l’ustensilité. « Culturelle », bien qu’elle n’appartienne pas explicitement dans Sein und Zeit à une époque déterminée de l’être. De fait, comme l’a bien vu Hubert Dreyfus elle relève bien d’une période historique précise de transition entre le monde artisanal et le monde industriel, donc du début du XIXe siècle.
A ce premier niveau de découverte où « le marteau, les tenailles, le clou, renvoient en eux-mêmes à l’acier, au fer, au minerai, au bois », la nature apparaît comme insérée dans l’ustensile, utilisable et utilisée, comme matériau du travail non artistique, préindustriel, comme matière première. « La forêt est (sous-entendu : en premier lieu pour le Dasein oriente vers l’ouvrage) une réserve de bois, la montagne une carrière de pierres, la rivière une force hydraulique, le vent ” gonfle les voiles En même temps que se découvre le ” monde environnant ” s’offre une nature par lui découverte. » La première notion de la nature, ni subsistante, ni disponible, se ramène donc au support ou à l’élément constituant d’un outil au sens le plus large. Elle n’est pas séparable de lui. L’outil est comme la forme dont la nature serait la matière en attente. La nature est immédiatement instrumentalisée.
La nature comme pure subsistance se constitue en un second moment « en faisant abstraction en elle de l’être qui se présente sous le mode de l’être disponible ». C’est en un troisième temps seulement que se trouve posée la nature comme puissance ou force autonome « qui croît et qui vit », l’annonce de ce qui sera décrit comme l’expérience originelle de la physis. Cette nature, « qui nous assaille et nous émeut dans le paysage », ne devrait-elle pas être comprise, non pas comme une lointaine dérivation, mais comme un nouveau genre d’être échappant aussi bien à la Zuhandenheit qu’à la Vorhandenheit? En fait, dit Heidegger, cette nature « demeuré cachée » à ces deux premiers modes d’être, donc à la mondanéité même du Dasein. Est-ce à dire que la mondanéité implique un aveuglement nécessaire à l’égard de la physis? Le texte est ici elliptique. La nature, si elle peut émouvoir, touche l’affectivité du Dasein. Est-elle cachée parce qu’elle appartient à un monde strictement privé et que le « monde de l’ouvrage » serait essentiellement public?
Quoi qu’il en soit, la « nature » est initialement saisie comme ce qui contribue utilement ou fait obstacle à l’utilisation préoccupée du monde comme réseau instrumental. Dans ce monde ambiant se révèle une nature-ambiante (Umweltnatur), qui désigne non un cadre naturel autonome, mais un « système » culturel rencontré dans un rapport pratique quotidien. « Dans les chemins, routes, ponts, constructions, la nature se trouve découverte dans une orientation déterminée par la préoccupation. » Les bâtiments comme tels renvoient obliquement à une présence naturelle : soleil, intempéries. Les toits, les cheminées, l’éclairage public indiquent une référence à une nature plus ou moins « disponible ». Le Dasein dépend d’elle, mais ne lui reconnaît pas d’autonomie, encore moins de majesté. La pluie, le froid ou la forte chaleur, l’obscurité rendent seulement les trajets ou les activités laborieuses, plus difficiles.
Cependant l’être-disponible des choses du monde ne doit pas être considéré comme une sorte de qualité seconde ou de « coloration subjective » qui serait surajoutée à un étant primitivement subsistant en soi, à « une matière du monde de prime abord présente en soi ». Si l’on peut parler d’un en-soi, c’est l’être-disponible lui-même comme détermination originelle à la fois du monde et de l’étant. La science n’accède au concept d’un « pur » étant subsistant que par la mise à l’écart de la compréhension quotidienne de l’ustensilité. Cette mise à l’écart se trouve préfigurée au niveau pré-objectif de l’usage quotidien par le phénomène que Heidegger décrit comme la « rupture » ou lu «perturbation» des relations de renvoi. L’outil peut soudain se révéler inutilisable. Il devient alors un en-soi, un matériau brut. De même la nature se révèle comme pur objet de connaissance lorsque l’homme s’écarte de la préoccupation directe concernant les choses qui sont à sa portée. Mais n’est-ce pas pour conquérir une prise et une capacité de manipulation infiniment supérieures? Heidegger ne soupçonne pas encore le retour en force de la technique au sein même de ce qu’il interprète encore comme le « désintéressement » scientifique à l’égard du monde.