DE L’ORIGINE DE L’ŒUVRE D’ART [GA5]
CONFÉRENCE DE 1935
Texte allemand et traduction française par Emmanuel Martineau
“Voici la « première version », inédite en allemand aussi bien qu’en français, de L’Origine de l’oeuvre d’art de Martin Heidegger. Je me réjouis de pouvoir porter ce document majeur à la connaissance du public, et c’est de tout mon coeur que je remercie Marie-Josèphe Mory-Costes, qui a joué dans la réalisation de cet ouvrage un rôle aussi décisif, c’est tout dire, que dans celle de mon édition privée d’Être et Temps.” (E. M. Richelieu, 31 juillet 1985.)
Gentiment mis-en-ligne par M. Nicolas Rialland (VOIR ICI)
El origen de la obra de arte [Der Ursprung des Kuntwerkes] tres conferencias sostenidas en el “Freie Deutsch Hochstift” de Frankfort del Meno el 17 y 24 de noviembre y el 4 de diciembre de 1936. Publicado por primera vez en Holzwege, V. Klostermann, Frankfurt, 1950. (GA5)
Le but que poursuit alors Heidegger est de montrer que l’art n’est pas une représentation ou une production, mais un événement ontologique et qu’en tant que tel il est l’institution de l’histoire. Or l’essence métaphysique de l’art renvoie à une conception de l’art qui voit en celui-ci une représentation de quelque chose de suprasensible dans une matière sensible soumise à une forme. Heidegger propose au contraire de penser l’art comme une position, une thesis, au sens d’une Stiftung, d’une institution d’un monde particulier. L’art est selon Heidegger une des manières selon laquelle advient la vérité, il est défini comme la mise en œuvre de la vérité [M. Heidegger, « L’origine de l’œuvre d’art» (conférences de 1936 à Francfort sur le Main), Chemins qui ne mènent nulle part [GA5], (noté par la suite C), Paris, Gallimard, 1980, p. 37.]. L’accent mis sur la valeur institutionnelle et positionnelle de l’art produit un renversement de ce qui semble être la situation normale selon laquelle la nature précède l’art. C’est ce qui est tout particulièrement souligné par Heidegger dans sa conférence de 1935 intitulée De l’origine de l’œuvre d’art : « Tout, ici, est renversé : c’est le temple, dans sa tenue, qui donne pour la première fois aux choses le visage grâce auquel elles deviendront à l’avenir visibles et, pour un temps, le demeureront. » [De l’origine de l’œuvre d’art (conférence du 23 novembre 1935), Authentica, 1987, (noté par la suite VF pour Version de Fribourg) p. 26. Voir le passage correspondant dans C, p. 45.] C’est donc l’œuvre d’art qui donne d’abord aux êtres naturels leur visibilité : maintenant c’est la nature qui vient après l’art. Ce n’est pas le cas seulement de l’architecture, mais aussi de la sculpture et de la poésie [Notons que Heidegger ne dit rien ici de la musique.]. La statue du dieu n’est pas une image faite d’après lui, mais elle est le dieu lui-même, elle constitue la venue en présence même et non pas la reproduction d’un être absent ou lointain. La tragédie n’est pas le récit d’une histoire et ne parle pas de la bataille des dieux, mais en elle la bataille a effectivement lieu. L’œuvre d’art est instauratrice de présence plutôt que représentation de quelque chose d’absent. Parce que l’œuvre ne reproduit rien, mais simplement se tient là, elle ouvre un espace dans lequel tout devient visible. C’est pourquoi l’œuvre d’art a essentiellement la capacité de donner « lieu » aux choses.
Les deux traits essentiels de l’œuvre d’art qu’analyse Heidegger sont deux modes différents du placer : installer (aufstellen) et produire (herstellen).