Taminiaux (1995b:131-134) – mundo como representação e como vontade

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Portanto, toda esta ordem que caracteriza o nosso campo de consciência em toda a sua amplitude, quer se trate das percepções empíricas de cada indivíduo, quer das leis e teorias estabelecidas pelas ciências, toda esta ordem que parece fazer do mundo da representação o próprio lugar da verdade, Schopenhauer afirma que não passa de um falso pretexto, uma ilusão, uma máscara que encobre outra coisa. Essa outra coisa é a vontade. Em relação à vontade, todo o campo articulado da representação não é mais do que uma aparência, um sonho sem consistência. É a vontade que caracteriza o mundo tal como ele é em si mesmo. É a coisa-em-si da qual o campo da representação é apenas o fenômeno no sentido de aparência, de véu enganador.

original

Le monde comme représentation (Vorstellung), c’est le monde tel qu’il nous apparaît, le monde comme phénomène. Si l’on entend par monde, comme le faisait la philosophie classique, et Schopenhauer avec elle, la totalité de ce qui est, le monde comme représentation est la totalité de ce qui nous apparaît. Or ce qui apparaît — sur ce point Schopenhauer entend souscrire à l’enseignement de Kant — se livre à nous dans l’espace et dans le temps. Tel phénomène ici, tel autre là, tel phénomène maintenant, tel autre auparavant, tel autre après. Cette diversité spatio-temporelle, Schopenhauer est encore d’accord avec Kant pour reconnaître qu’elle est réglée, ou articulée, ou ordonnée. Ce qui nous apparaît n’a rien de chaotique. Les phénomènes composent un monde ordonné. Peu soucieux des détails de la logique transcendantale, qu’il trouve « gothique », Schopenhauer soutient que deux principes assurent cette ordonnance : le principe de raison suffisante et le principe d’individuation. Le principe d’individuation signifie simplement que le temps et l’espace, formes de l’intuition sensible, individuent les phénomènes : ce phénomène-ci n’est pas celui-là, ce phénomène présent n’est pas celui qui vient de s’évanouir dans le passé. Le principe de raison suffisante, d’autre part, signifie que tout phénomène — spatio-temporel par essence — nous apparaît comme explicable, comme l’effet de certaines causes repérables qui nous livrent la raison de sa manière d’apparaître, de se manifester comme tel ou tel, ainsi [132] et pas autrement. Toute notre vie consciente, qu’il s’y agisse de connaissance ou d’action, se manifeste à nous comme étant réglée par ces principes. Tout ce dont nous avons à connaître nous paraît explicable, et à tout ce que nous faisons, nous-mêmes pouvons donner une justification — nous avions tel motif d’agir ainsi, en vue de tel ou tel but justifiable, — tandis que les autres peuvent en trouver une explication.

Pourtant toute cette ordonnance qui caractérise notre champ de conscience dans toute son ampleur, qu’il s’agisse des perceptions empiriques de chacun, ou des lois et des théories énoncées par les sciences, toute cette ordonnance qui semble faire du monde de la représentation le lieu même de la vérité, Schopenhauer soutient qu’elle n’est qu’un faux semblant, une illusion, un masque qui recouvre tout autre chose. Cette autre chose c’ est la volonté. Par rapport à la volonté, tout le champ articulé de la représentation n’est qu’une apparence, un rêve sans consistance. C’est la volonté qui caractérise le monde tel qu’il est en-soi. Elle est la chose-en-soi dont le champ de la représentation n’est que le phénomène au sens de semblant, de voile trompeur.

Comment approcher cet en-soi ? Pour décrire la volonté qui est l’essence de toutes choses, et le principe véritable du monde, il faudrait parvenir à nier toutes les déterminations, toutes les règles, toutes les causes, tous les buts qui concourent à faire du champ de la représentation un ensemble ordonné, soumis au principe de raison suffisante et à celui de l’individuation. Le phénomène qui nous est le plus proche nous aide à entreprendre cette description négative : c’est notre corps, non pas en tant qu’il est vu du dehors dans l’espace-temps, mais en tant qu’il est ressenti, éprouvé intérieurement dans notre vie affective. Les alternances répétées de nos aspirations et de nos déceptions, de nos manques et de nos satisfactions, de nos douleurs et de nos plaisirs nous permettent d’entrevoir que nous ne sommes que les jouets dérisoires d’une puissance qui nous dépasse et qui est la volonté. Cette puissance est soustraite au principe de raison et au principe d’individuation. La volonté comme telle, en tant qu’elle constitue l’essence et le principe du monde, n’est pas la volonté de quelqu’un. C’est un vouloir sans titulaire, un vouloir purement infinitif et insubstantifiable. [133] Ce vouloir transindividuel est aussi sans raison. Il ne vise à rien de justifiable, il est hors conscience, sans but, sans cause : il n’est que sa ténébreuse et abyssale perpétuation et il la veut contradictoirement car il n’engendre que pour détruire, et n’affecte une généreuse profusion que par cruelle voracité.

A partir de là s’éclairent à la fois la disjonction et la continuité. Entre la volonté et la représentation, il y a disjonction en ceci que l’essence de la volonté — non individuée et contradictoire, — est strictement antithétique des traits majeurs de la représentation, — individuation et principe de raison. Mais entre la volonté et la représentation, il y a aussi continuité en ceci que l’individuation et la raison sont les jouets dont la volonté se sert, ou le vêtement sage dont elle se couvre pour perpétuer son essence chaotique. Le monde comme représentation, dit Schopenhauer, est une mise en scène de la volonté. C’est une œuvre théâtrale dont l’auteur est la volonté, celle-ci restant obstinément cachée à ceux qui regardent le spectacle, comme la « lumière originelle et les choses réelles » restent cachées aux prisonniers de la caverne platonicienne.

Mais à partir de là aussi, un regard autre que celui de l’empirie commune et de la science peut être jeté sur le monde. Alors même qu’elle se croit lucide, neutre, critique, et désintéressée, la science est, sans le savoir, aveuglément soumise à la dynamique absurde de la volonté. Cherchant partout des causes et des raisons, elle est incapable d’apercevoir que cette recherche même est totalement piégée par la volonté, qui requiert les sages apparences de la raison pour masquer son chaos et le perpétuer. La science est donc tout entière au service du vouloir-vivre, elle est fondamentalement intéressée. Au demeurant, elle-même reconnaît ses liens avec la volonté lorsque, réfléchissant sur ses méthodes et sa portée, elle se définit en termes de prévision, de maîtrise du cours des phénomènes, de puissance sur la nature. Or, précisément parce qu’elle est serve de la volonté, elle n’est pas davantage capable d’en apercevoir l’essence qu’Orphée aux enfers ne pouvait voir Eurydice.

Mais ce qu’ignore nécessairement toute science des phénomènes, la métaphysique peut l’apercevoir. Elle le peut à condition de ne pas se rapporter à la chose-en-soi, qui est son seul [134] thème, à la manière dont la science se rapporte aux phénomènes. On vient de le voir, connaître au sens de la science, c’est à la fois confirmer la volonté et cacher l’essence de celle-ci derrière le voile de Maya. Si donc la métaphysique se concevait comme une superscience, elle ne pourrait que recouvrir sous une brume épaisse la chose-en-soi qu’elle ambitionne de regarder. Mais dans quelle démarche trouvera-t-elle donc son modèle, sa source d’inspiration ? La démarche susceptible d’inspirer la métaphysique comme connaissance de la chose-en-soi ne saurait, de toute évidence, qu’être une démarche nettement dégagée de toute obéissance aux intérêts de la volonté, une démarche qui n’émane d’aucun désir que ce soit, une démarche capable de suspendre le mouvement du vouloir-vivre, bref une démarche radicalement désintéressée. Seul un tel désintéressement, c’est-à-dire un recul par rapport au vouloir-vivre peut permettre, en effet, d’échapper à ces rejetons pervers de la volonté que sont le principe d’individuation et le principe de raison suffisante, et par là même de contempler la volonté pour ce qu’elle est. Cette démarche existe, c’est celle de l’art. C’est comme un art que Schopenhauer caractérisait sa métaphysique, c’est dans les œuvres d’art qu’il trouvait exprimée l’essence et le fond des choses, la volonté même.