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original
Autant le λόγος en métaphysique a fini par fonder l’onto-théologie et du même coup, préparer la «mort de Dieu», autant ici, il renouvelle tout accès à Dieu ou plutôt toute venue de Dieu en nous. Il nous dit, de façon nouvelle, cette manifestation qui nous suscite à travers le monde. Il exprime ainsi l’essence de l’homme. L’unité et la différence des deux pentes de l’onto-théologie ne sont plus laissées dans l’ombre : le lien entre elles s’établit au cœur de l’homme, par cette ouverture du Da qu’est l’instant. C’est ce que nous rappelait Sein und Zeit, la logique du λόγος est enracinée dans le dasein [SZ:160]. Du même coup, s’éclairent l’une par l’autre les deux définitions traditionnelles jusqu’alors simplement juxtaposées: animal rationale et faciamus hominem ad imaginem nostram et similitudinem [SZ:48].
Il est long, dit Heidegger, le chemin le plus nécessaire à notre pensée ; il conduit vers ce simple qu’il faut penser sous le nom de [252] λόγος [GA7FR:249]. Le λόγος est à entendre à travers le «tout est un» d’Héraclite. L’Hen Panta est un signe privilégié nous donnant à entendre ce qu’est le λόγος. Il n’identifie pas le λόγος à ce qu’il énonce, autrement dit à l’étant. Il ne dit pas davantage le sens que donne à saisir le λόγος : il ne se réduit pas à l’intelligibilité de l’étant, à sa présence qui fait que nous le comprenons et que la métaphysique appelle son être. Le λόγος n’est ni seulement de «l’être», ni seulement de «l’étant». L’Hen Panta révèle de quelle façon le λόγος se déploie et se manifeste : il exprime le mouvement par lequel, dans l’homme, l’étant et son être sont portés l’un vers l’autre, assignés l’un à l’autre. Ainsi se constitue le monde. Ainsi, dans l’œuvre de l’homme qui est réponse à un appel sont mis en jeu la terre et le ciel, les dieux et les hommes.
Le Tout de la formule d’Héraclite n’est pas à interpréter ainsi que l’a fait une partie de la métaphysique, comme le tout des choses présentes, c’est à dire dans la confusion du «cosmologique» et de «l’ontologique». Parce qu’elle s’en tenait là, la métaphysique, depuis Parménide, désignait l’étant dans son ensemble, la multiplicité de ce qui est, non plus par le pluriel, mais par un neutre singulier: ta eonta, ta polla, ta panta. Avec les Eléates, Mélissos en particulier, le tout a été pensé comme la présence inébranlable des choses présentes, comme son «être» sous le gouvernement de la chose suprême, l’Un [GA7FR:272].
Cette interprétation de l’Un-Tout méconnaît l’impasse qu’elle constitue. Le Tout et la partie, l’Un et le multiple demeurent énigmes. Zénon met celles-ci en lumière, ce dont Hegel, dans son Cours sur l’Histoire de la philosophie lui tiendra gré. Platon dans le Parménide et le Sophiste veut dépasser, par la dialectique, l’œuvre destructrice de Zénon. Avec la dianoia, le λόγος grec devient le discours que l’âme poursuit avec elle-même. Tout étant n’est ce qu’il est qu’en ce qu’il n’est pas un autre. Mais c’est l’esprit qui pose la négation. Le non-être n’est réintroduit au cœur de l’être que dans la seule perspective du discours philosophique. La fuite dans les logoi est accomplie. Désormais, discursivité et intuition s’opposeront et le λόγος, chez Platon et chez Aristote, sera déjà un mixte de définitions.