constitution temporelle

L’interprétation temporelle du Dasein quotidien [alltäglich] doit prendre pour point de départ les structures où se constitue l’ouverture, à savoir : le comprendre, l’affection, l’échéance et le [335] parler. Les modes de temporalisation de la temporalité à libérer par rapport à ces phénomènes livrent le sol sur lequel déterminer la temporalité de l’être-au-monde [In-der-Welt-sein]. Ce qui ramène de façon nouvelle au phénomène du monde et permet une délimitation de la problématique spécifiquement temporelle de la mondanéité [Weltlichkeit]. Cette problématique doit nécessairement se confirmer grâce à la caractérisation de l’être-au-monde [In-der-Welt-sein] quotidien [alltäglich] prochain, à savoir la préoccupation [Besorgen] échéante-circon-specte. La temporalité de celle-ci rend possible la modification de la circon-spection en accueil a-visant, ainsi qu’en la connaissance théorique qui s’y fonde. La temporalité de l’être-au-monde [In-der-Welt-sein] qui se dégage sous cette figure se manifeste en même temps comme le fondement de la spatialité spécifique du Dasein. La constitution temporelle de l’é-loignement [Entfernung] et de l’orientation doit être mise en évidence. Le tout de ces analyses dévoile une possibilité de temporalisation de la temporalité où se fonde ontologiquement l’inauthenticité du Dasein, et conduit à la question de savoir comment doit être compris le caractère temporel de la quotidienneté [Alltäglichkeit], le sens temporel de ce « de prime abord et le plus souvent » dont il a été fait jusqu’ici un constant usage. La fixation de ce problème met en évidence que et dans quelle mesure la clarification jusqu’ici atteinte du phénomène est insuffisante. EtreTemps67

La résolution que nous avons caractérisée quant à son sens temporel représente une ouverture authentique du Dasein. Celle-ci constitue un étant de manière telle que, en existant, il peut être lui-même son « Là ». Cependant, le souci n’a été caractérisé en son sens temporel que dans ses traits fondamentaux. Mettre en lumière sa constitution temporelle concrète, cela signifie interpréter temporellement le détail de ses moments structurels, c’est-à-dire le comprendre, l’affection, l’échéance et le parler. Tout comprendre à sa tonalité. Toute affection est compréhensive. Le comprendre affecté a le caractère de l’échéance. Le comprendre intoné de manière échéante s’articule quant à sa compréhensivité dans le parler. La constitution temporelle des phénomènes cités reconduit à chaque fois à cette unique temporalité qui permet de garantir l’unité structurelle possible du comprendre, de l’affection, de l’échéance et du parler. EtreTemps68

Le comprendre ne flotte jamais en l’air, mais est toujours affecté. Le Là est à chaque fois cooriginairement ouvert (ou refermé) par de la tonalité. L’être-intoné transporte le Dasein [340] devant son être-jeté, et cela de telle manière que celui-ci n’est pas connu comme tel, mais ouvert bien plus originairement sous la forme du « où l’on en est ». L’être-jeté veut dire existentialement : se trouver ainsi ou ainsi. Par suite, l’affection se fonde dans l’être-jeté. La tonalité représente la guise en laquelle je suis à chaque fois primairement l’étant jeté. Comment la constitution temporelle de l’être-intoné peut-elle se manifester ? Comment, à partir de l’unité ekstatique de la temporalité, la connexion existentiale entre affection et comprendre peut-elle se laisser apercevoir ? EtreTemps68

L’analyse temporelle du comprendre et de l’affection n’a pas simplement rencontré une ekstase primaire pour le phénomène à chaque fois considéré, mais toujours et en même temps la temporalité totale. Or de même que c’est l’avenir qui possibilise primairement le comprendre, et l’être-été la tonalité, de même le troisième moment constitutif du souci, l’échéance a son sens existential dans le présent. Notre analyse préparatoire de l’échéance avait commencé par une interprétation du bavardage [Gerede], de la curiosité et de l’équivoque [NA: Cf. supra, §§35 [EtreTemps35] sq., p. [167] sq.]: l’analyse temporelle de l’échéance se doit de suivre le même chemin. Néanmoins, nous restreindrons notre recherche à une considération de la curiosité, parce que c’est en elle que la temporalité spécifique de l’échéance se laisse le plus aisément discerner. L’analyse du bavardage [Gerede] et de l’équivoque, au contraire, présuppose que l’on ait au préalable clarifié la constitution temporelle du parler et de l’expliciter. EtreTemps68

Les temps (« grammaticaux »), tout comme les autres phénomènes temporels de la parole, « modes d’action » et « degrés temporels » ne proviennent pas du fait que le parler s’ex-prime « aussi » sur des processus « temporels », c’est-à-dire rencontrés « dans le temps ». Pas davantage n’ont-il pour fondement le fait que le parler effectif se déroule « dans un temps psychique ». Le parler est en lui-même temporel, pour autant que tout parler sur…, de…, et à… se fonde dans l’unité ekstatique de la temporalité. Les modes d’action sont enracinés dans la temporalité originaire de la préoccupation [Besorgen], que celle-ci se rapporte ou non à de l’intratemporel. À l’aide du concept vulgaire et traditionnel du temps, auquel la linguistique est bien forcée d’avoir recours, il n’est même pas possible de poser le problème de la structure temporalo-existentiale des modes d’action (NA: Cf. entre autres Jakob WACKERNAGEL, Vorlesungen über Syntax [Leçons sur la syntaxe], t. I, 1920, p. 15, et notamment p. 149-210. Et aussi G. HERBIG, « Aktionsart und Zeitstufe » [« Mode d’action et degré temporel »] dans Indogermanische Forschung, t. VI, 1896, p. 167 sq.). Mais comme le parler est à chaque fois discussion d’un étant, même si ce n’est pas de manière primaire et prépondérante au sens de l’énoncer théorique, l’analyse de la constitution temporelle du parler et l’explication des caractères temporels des configurations linguistiques ne peut être entreprise que si le problème de la connexion fondamentale entre être et vérité est déployé à partir de la problématique de la temporalité. C’est alors qu’il devient également possible de délimiter le sens ontologique du « est » qu’une théorie extérieure de la proposition et du jugement a défiguré en « copule ». C’est seulement à partir de la temporalité du parler, c’est-à-dire du Dasein en général que la « formation » de la « signification » peut être éclaircie et la possibilité d’une formation de concept rendue ontologiquement intelligible. EtreTemps68

L’ouverture du Là et les possibilités existentielles fondamentales du Dasein, authenticité et inauthenticité, sont fondées dans la temporalité. Mais l’ouverture concerne toujours cooriginairement l’être-au-monde [In-der-Welt-sein] plein, l’être-à aussi bien que le monde. Par suite, à partir d’une orientation sur la constitution temporelle de l’ouverture, il doit être également possible de mettre en lumière la condition ontologique de possibilité permettant à l’étant qui existe comme être-au-monde [In-der-Welt-sein] de pouvoir être. EtreTemps68

L’analyse de la temporalité de la préoccupation [Besorgen] s’en tient de prime abord au mode de l’avoir-à-faire circon-spect avec l’à-portée-de-la-main. Par suite, elle s’attache à la possibilité temporalo-existentiale de la modification de la préoccupation [Besorgen] circon-specte en découverte « sans plus » a-visante de l’étant intramondain au sens de certaines possibilités de la recherche scientifique. L’interprétation de la temporalité de l’être circon-spect, aussi bien que de l’être théoriquement préoccupé auprès de l’à-portée-de-la-main et du sous-la-main intramondain montre en même temps comment cette même temporalité est d’emblée déjà la condition de possibilité de l’être-au-monde [In-der-Welt-sein] où se fonde en général l’être-auprès de l’étant intramondain. L’analyse thématique de la constitution temporelle de l’être-au-monde [In-der-Welt-sein] conduit aux questions suivantes : de quelle manière quelque chose comme le monde est-il en général possible, en quel sens le monde est-il, qu’est-ce que le monde transcende, et comment, comment l’étant intramondain « indépendant » est-il « lié » au monde transcendant ? L’exposition ontologique de ces questions n’équivaut pas encore à leur solution. En revanche, elle apporte la clarification d’emblée nécessaire des structures par rapport auxquelles le problème de la [352] transcendance demande d’être posé. L’interprétation temporalo-existentiale de l’être-au-monde [In-der-Welt-sein] considère les trois points suivants : a) la temporalité de la préoccupation [Besorgen] circon-specte ; b) le sens temporel de la modification de la préoccupation [Besorgen] circon-specte en connaissance théorique du sous-la-main intramondain ; c) le problème temporel de la transcendance du monde. EtreTemps69

Conformément à l’étape jusqu’ici atteinte par notre recherche, une autre restriction s’impose à l’interprétation du comportement théorique. Tout ce que nous examinons, c’est le virage de la préoccupation [Besorgen] circon-specte pour l’à-portée-de-la-main en recherche du sous-la-main trouvable à l’intérieur du monde, et cela avec l’intention directrice de percer jusqu’à la constitution temporelle de l’être-au-monde [In-der-Welt-sein] en général. EtreTemps69

Mais la totalité constitutionnelle du souci trouve le fondement possible de son unité dans la temporalité. L’éclaircissement ontologique de l’« enchaînement de la vie », c’est-à-dire de l’extension, de la mobilité et de la permanence spécifiques du Dasein doit par suite recevoir son amorçage dans l’horizon de la constitution temporelle de cet étant. La mobilité de [375] l’existence n’est pas le mouvement d’un sous-la-main. Elle se détermine à partir de l’extension du Dasein. La mobilité spécifique du s’é-tendre é-tendu, nous l’appelons le provenir du Dasein. La question de l’« enchaînement » du Dasein est le problème ontologique de son provenir. La libération de la structure de provenance et de ses conditions temporalo-existentiales de possibilité signifie l’obtention d’une compréhension ontologique de l’historialité. EtreTemps72