Sinn von Sein, Sinn des Seins, Seinssinn
Dans la langue encore hésitante et provisoire de L’Etre et le Temps (1927), ce que nous venons de dire prenait la forme suivante : le trait fondamental de l’être là (Dasein), qui est l’homme même, se définit par le Sens de l’être (Seinsverständnis). Que l’homme ait le Sens de l’être ne veut en aucun cas dire qu’il possède en tant que sujet une représentation subjective de l’être et que ce dernier, l’être, ne soit qu’une représentation. C’est en ce sens que Nicolai Hartmann et beaucoup de contemporains ont, à leur manière, interprété la position de départ de L’Etre et le Temps.
« Sens de l’être » veut dire que l’homme, en vertu de son essence, se tient dans l’Ouverture créée par le pro-jet de l’être et qu’il tient bon dans la com-préhension ainsi entendue (NT : Seinsverständnis besagt, dass der Mensch… im Offenen des Entwurfs des Seins steht and dieses… Verstehen aussteht). Le Sens de l’être, perçu et pensé de cette manière, rend caduque la représentation de l’homme comme sujet, pour parler le langage de Hegel. C’est seulement pour autant que l’homme se tient essentiellement dans une éclaircie de l’être qu’il est un être pensant. Car depuis toujours dans notre histoire, « penser » a voulu dire : se conformer à l’injonction de l’être et, partant de cette conformité, parcourir, discuter et décrire l’étant dans son être, dis-courir sur lui. Ce dis-cours (dialegesthai) se développe dans l’histoire de la pensée occidentale et devient la dialectique. (GA10:128)
Mais ce n’est pas tout. Car sur la base des premiers essais grecs en vue de l’interprétation de l’être un dogme s’est élaboré, qui non seulement déclare superflue la question du sens de l’être, mais encore légitime expressément l’omission de la question. On dit : l’« être » est le concept le plus universel et le plus vide. En tant que tel, il répugne à toute tentative de définition. Du reste, ce concept le plus universel, donc indéfinissable, n’a même pas besoin de définition. Chacun l’utilise constamment en comprenant très bien ce qu’il entend par là. Du coup, ce qui, en son retrait, avait jeté et tenu dans l’inquiétude le philosopher antique est devenue une « évidence » (NT: Au sens de « ce qui va de soi ».) si aveuglante que quiconque persiste à s’en enquérir se voit reprocher une faute de méthode. EtreTemps1
Au seuil de cette recherche, nous ne pouvons élucider en détail tous les préjugés qui ne cessent d’entretenir l’indifférence à l’égard d’un questionner de l’être. Ils jettent leurs racines dans l’ontologie antique elle-même. Quant à celle-ci, elle ne saurait à son tour être interprétée (3) de manière satisfaisante – en ce qui concerne le sol où sont nés les concepts ontologiques fondamentaux ainsi que la légitimation adéquate de l’assignation des catégories et de leur énumération complète – qu’au fil conducteur de la question de l’être préalablement clarifiée et résolue. Par conséquent, nous ne discuterons ici les préjugés cités qu’autant qu’il est requis pour faire apercevoir la nécessité d’une répétition de la question du sens de l’être. Ils sont au nombre de trois : 1. L’« être » est le concept « le plus universel » : to on esti katholou malista panton (NA: ARISTOTE, Met., B 4, 1001 a 21.). « Illud quod primo cadit sub apprehensione est ens, cujus intellectus includitur in omnibus, quaecumque quis apprehendit » : « Une compréhension de l’être est toujours déjà comprise dans tout ce que l’on saisit de l’étant » (NA: THOMAS D’AQUIN, Summa theol., I-II, q. 94, a. 2.). Mais l’« universalité » de l’« être » n’est pas celle du genre. L’« être » ne délimite pas la région suprême de l’étant pour autant que celui-ci est articulé conceptuellement selon le genre et l’espèce : oute to on genos (NA: ARISTOTE, Met., B 3, 998 b 22.). L’« universalité » de l’être « transcende » toute universalité générique. Selon la terminologie de l’ontologie médiévale, l’être est un transcendens. L’unité de ce transcendantalement « universel », par opposition à la multiplicité des concepts génériques réals suprêmes, a déjà été reconnue par Aristote comme unité d’analogie. Par cette découverte, Aristote, en dépit de toute sa dépendance à l’égard de la problématique ontologique de Platon, a situé le problème de l’être sur une base fondamentalement nouvelle. Bien sûr, lui non plus n’a point éclairci l’obscurité de ces relations catégoriales. L’ontologie médiévale a discuté multiplement ce problème dans les écoles thomiste et scotiste, sans parvenir à une clarté fondamentale. Et lorsque finalement Hegel détermine l’« être » comme l’« immédiat indéterminé » et qu’il place cette détermination à la base de toutes les explications catégoriales ultérieures de sa Logique, il se maintient dans la même perspective que l’ontologie antique, à ceci près qu’il abandonne le problème, déjà posé par Aristote, de l’unité de l’être par rapport à la multiplicité des « catégories » réales. Lorsque l’on dit par conséquent, que l’ « être » est le concept le plus universel, cela ne peut pas vouloir dire qu’il est le plus clair, celui qui a le moins besoin d’élucidation supplémentaire. Bien plutôt le concept d’« être » est-il le plus obscur. (4) 2. Le concept d’« être » est indéfinissable. C’est ce que l’on concluait de son universalité (NA: Cf. PASCAL, Pensées et Opuscules, éd. L. Brunschvig, Paris, 1912, p. 169 : « On ne peut entreprendre de définir l’être sans tomber dans cette absurdité : car on ne peut définir un mot sans commencer par celui-ci, c’est, soit qu’on l’exprime ou qu’on le sous-entende. Donc pour définir l’être, il faudrait dire c’est, et ainsi employer le mot défini dans sa définition. »). À bon droit – si « definitio fit per genus proximum et differentiam specificam ». L’être ne peut en effet être conçu comme étant ; « enti non additur aliqua natura » ; l’être ne peut venir à la déterminité (Bestimmtheit) selon que de l’étant lui est attribué. L’être n’est ni dérivable définitionnellement de concepts supérieurs, ni exposable à l’aide de concepts inférieurs. Mais suit-il de là que l’« être » ne puisse plus poser de problème ? Nullement. Tout ce qu’il est permis d’en conclure, c’est ceci : l’« être » n’est pas quelque chose comme de l’étant. Par suite, le mode de détermination de l’étant justifié dans certaines limites – la « définition » de la logique traditionnelle, qui a elle-même ses fondations dans l’ontologie antique – n’est pas applicable à l’être. L’indéfinissabilité de l’être ne dispense point de la question de son sens, mais précisément elle l’exige. 3. L’« être » est le concept « évident ». Dans toute connaissance, dans tout énoncé, dans tout comportement par rapport à l’étant, dans tout comportement par rapport à soi-même, il est fait usage de l’« être », et l’expression est alors « sans plus » compréhensible. Chacun comprend : « le ciel est bleu », « je suis joyeux », etc. Seulement, cette intelligence moyenne ne démontre guère qu’une incompréhension. Ce qu’elle manifeste, c’est qu’il y a a priori, dans tout comportement, dans tout être par rapport à l’étant comme étant, une énigme. Que toujours déjà nous vivions dans une compréhension de l’être et qu’en même temps le sens de l’être soit enveloppé dans l’obscurité, voilà qui prouve la nécessité fondamentale de répéter la question du sens de l’« être ». EtreTemps1
La question du sens de l’être doit être posée. Si elle est une, ou plutôt la question-fondamentale, alors un tel questionner requiert une transparence appropriée. Par suite, il nous faut brièvement élucider ce qui appartient en général à une question, afin de rendre visible à partir de là la question de l’être comme question insigne. EtreTemps2
La question qui s’enquiert du sens de l’être doit être posée. Ainsi nous trouvons-nous devant la nécessité d’élucider la question de l’être par rapport aux moments structurels cités. EtreTemps2
En tant que chercher, le questionner a besoin d’une orientation préalable à partir du cherché. Par suite, le sens de l’être doit nécessairement nous être déjà disponible d’une certaine manière. On l’a suggéré : nous nous mouvons toujours déjà dans une compréhension de l’être. C’est de celle-ci que prend naissance la question expresse du sens de l’être et la tendance vers son concept. Nous ne savons pas ce qu’« être » signifie. Mais pour peu que nous demandions : « Qu’est-ce que l’”être” ? », nous nous tenons dans une compréhension du « est », sans que nous puissions fixer conceptuellement ce que le « est » signifie. Nous ne connaissons même pas l’horizon à partir duquel nous devrions saisir et fixer le sens. Cette compréhension moyenne et vague de l’être est un fait. EtreTemps2
Cette compréhension de l’être a beau être flottante, confuse, toute proche d’une simple connaissance verbale, cette indétermination de la compréhension toujours déjà disponible de l’être n’en est pas moins elle-même un phénomène positif, qui requiert un éclaircissement. Néanmoins, une recherche sur le sens de l’être ne prétendra pas apporter celui-ci dès le (6) commencement. L’interprétation de la compréhension moyenne de l’être ne peut recevoir son fil conducteur nécessaire que du concept élaboré de l’être. C’est à partir de la clarté du concept et des modes de compréhension explicite qui lui appartiennent qu’il faudra établir ce que vise la compréhension obscurcie – ou non encore éclairée – de l’être, et quels types d’obscurcissement, ou d’empêchement d’un éclairage explicite du sens de l’être, sont possibles et nécessaires. EtreTemps2
Dans la mesure où l’être constitue le questionné et où être veut dire être de l’étant, c’est l’étant lui-même qui apparaît comme l’interrogé de la question de l’être. C’est lui qui, pour ainsi dire, a à répondre de son être. Mais s’il doit pouvoir révéler sans falsification les caractères de son être, il faut alors que, de son côté, il soit d’abord devenu accessible tel qu’il est en lui-même. Du point de vue de son interrogé, la question de l’être exige l’obtention et la consolidation préalable du mode correct d’accès à l’étant. Seulement, nous appelons « étant » beaucoup de choses, et dans beaucoup de sens. Étant : tout ce dont nous parlons, tout ce que (7) nous visons, tout ce par rapport à quoi nous nous comportons de telle ou telle manière – et encore ce que nous sommes nous-mêmes, et la manière dont nous le sommes. L’être se trouve dans le « que » et le « quid », dans la réalité, dans l’être-sous-la-main, dans la subsistance, dans la validité, dans l’être-là (existence), dans le « il y a ». Sur quel étant le sens de l’être doit-il être déchiffré, dans quel étant la mise à découvert de l’être doit-elle prendre son départ ? Ce point de départ est-il arbitraire, ou bien un étant déterminé détient-il une primauté dans l’élaboration de la question de l’être ? Quel est cet étant exemplaire et en quel sens a-t-il une primauté ? EtreTemps2
Si la question de l’être doit être posée expressément et être accomplie dans une pleine transparence d’elle-même, alors une élaboration de cette question, d’après les élucidations antérieures, exige l’explication du mode de visée de l’être, du comprendre et du saisir conceptuel du sens, la préparation de la possibilité du choix correct de l’étant exemplaire, l’élaboration du mode authentique d’accès à cet étant. Or viser, comprendre et concevoir, choisir, accéder sont des comportements constitutifs du questionner, et ainsi eux-mêmes des modes d’être d’un étant déterminé, de l’étant que nous, qui questionnons, nous sommes à chaque fois nous-mêmes. Élaboration de la question de l’être veut donc dire : rendre transparent un étant – celui qui questionne – en son être. En tant que mode d’être d’un étant, le questionner de cette question est lui-même essentiellement déterminé par ce qui est en question en lui – par l’être. Cet étant que nous sommes toujours nous-mêmes et qui a entre autres la possibilité essentielle du questionner, nous le saisissons terminologiquement comme DASEIN. La position expresse et transparente de la question du sens de l’être exige une explication préalable adéquate d’un étant (le Dasein) au point de vue de son être. EtreTemps2
Du reste, il n’y a en réalité dans la problématique qu’on vient de caractériser aucun cercle. L’étant peut très bien être déterminé en son être sans que pour cela le concept explicite (8) du sens de l’être doive être déjà disponible. Autrement, aucune connaissance ontologique n’aurait jamais pu se constituer, et l’on ne saurait en nier l’existence de fait. L’« être » est assurément « présupposé » dans toutes les ontologies antérieures, mais non pas en tant que concept disponible – non pas comme ce comme quoi il est recherché. La « présupposition » de l’être a le caractère d’une prise préalable de perspective sur l’être, de telle manière qu’à partir de cette perspective l’étant prédonné soit provisoirement articulé en son être. Cette perspective directrice sur l’être jaillit de la compréhension moyenne de l’être où nous nous mouvons toujours déjà et qui finalement appartient à la constitution essentielle du Dasein. Un tel « présupposer » n’a rien à voir avec la postulation d’un principe d’où une suite de propositions serait déductivement dérivée. S’il ne peut y avoir en général de « cercle démonstratif » dans la problématique du sens de l’être, c’est parce que ce dont il y va avec la réponse à cette question n’est point une fondation déductive, mais la mise en lumière libérante d’un fond. EtreTemps2
Mais si la question du sens de l’être ne commet aucun « cercle démonstratif », elle ne s’en caractérise pas moins par une « rétro-» et « pré-référence » du questionné (être) au questionner en tant que mode d’être d’un étant. Ce concernement essentiel du questionner par son questionné appartient au sens le plus propre de la question de l’être. Or cela signifie simplement que l’étant qui a le caractère du Dasein est lui-même en rapport – et peut-être même en un rapport insigne – à la question de l’être. Or à travers ce rapport un étant déterminé ne se trouve-t-il pas déjà assigné en sa primauté d’être ? L’étant exemplaire qui doit fonctionner comme l’interrogé premier de la question de l’être n’est-il pas déjà prédonné ? Mais il s’en faut que les élucidations précédentes suffisent à manifester la primauté du Dasein, ou à décider de sa fonction possible ou même nécessaire d’étant à interroger primairement. Au moins quelque chose comme une primauté du Dasein s’est-elle annoncée à nous. EtreTemps2
Lorsque l’interprétation du sens de l’être devient tâche, le Dasein n’est pas seulement l’étant à interroger primairement, il est en outre l’étant qui, en son être, se rapporte toujours (15) déjà à ce qui est en question en cette question. La question de l’être, par suite, n’est rien d’autre que la radicalisation d’une tendance essentielle d’être appartenant au Dasein même, la compréhension préontologique de l’être. EtreTemps4
Si l’être doit être conçu à partir du temps et si les divers modes et dérivés de l’être deviennent en effet compréhensibles en leurs modifications et dérivations du point de vue du temps, alors c’est l’être lui-même – et non pas par exemple seulement de l’étant « intratemporel » – qui est rendu visible en son caractère « temporel ». Mais « temporel » ne peut plus alors signifier simplement « étant dans le temps ». Même l’« intemporel » et le « supratemporel » sont « temporels » en leur être, et cela à nouveau non pas seulement sur le mode d’une privation par rapport à de l’étant « temporel » au sens d’étant « dans le temps », (19) mais bien dans un sens positif, qui d’ailleurs reste à clarifier. Comme le mot « temporel » est attesté – au sens indiqué – par l’usage linguistique préphilosophique et philosophique, et comme ce mot, au cours des recherches qui suivent, sera à nouveau pris dans une autre signification, nous appellerons la déterminité (Bestimmtheit) de sens originaire de l’être et de ses caractères et modes à partir du temps sa déterminité (Bestimmtheit) temporale. La tâche fondamental-ontologique de l’interprétation de l’être comme tel inclut donc l’élaboration de l’être-temporal (Temporalität) de l’être. C’est dans l’exposition de la problématique de l’être-temporel qu’est pour la première fois donnée la réponse concrète à la question du sens de l’être. EtreTemps5
Dès le début (§1), il a été montré que la question du sens de l’être non seulement n’est pas réglée, non seulement n’est pas posée de façon satisfaisante, mais encore que, malgré tout l’intérêt porté à la « métaphysique », elle est tombée dans l’oubli. L’ontologie grecque et son histoire qui, à travers diverses filiations et déviations, détermine aujourd’hui encore la (22) conceptualité de la philosophie, est la preuve que le Dasein comprend lui-même et l’être en général à partir du « monde », et que l’ontologie ainsi née bute sur la tradition qui la fait sombrer dans l’évidence et la ravale au rang d’un matériau qui n’attendrait plus que d’être retravaillé (ainsi en va-t-il pour Hegel). Cette ontologie grecque déracinée devient au Moyen Âge un capital doctrinal fixe. Mais cette systématique est tout autre chose que l’assemblage de fragments transmis en un édifice : même à l’intérieur des limites d’une reprise dogmatique des conceptions fondamentales des Grecs sur l’être, une telle systématisation n’en inclut pas moins bien des acquisitions encore incomprises. Sous cette empreinte scolastique, c’est encore pour l’essentiel l’ontologie grecque qui, via les Disputationes metaphysicae de Suarez, passe dans la « métaphysique » et la philosophie transcendantale des temps modernes et détermine les fondations et les buts de la Logique de Hegel. Mais comme au cours de cette histoire, ce sont des régions d’être déterminées et privilégiées qui sont prises en vue, et même qui guident primairement la problématique (l’ego cogito de Descartes, le Moi, la raison, l’esprit, la personne), ces régions, conformément à l’omission complète de la question de l’être, demeurent non questionnées quant à l’être et à la structure de leur être. Bien plutôt le fonds catégorial de l’ontologie traditionnelle, au prix des formalisations correspondantes et de restrictions purement négatives, est-il transposé à cet étant, à moins que la dialectique ne soit appelée à l’aide en vue d’une interprétation ontologique de la substantialité du sujet. EtreTemps6
Que Descartes soit « dépendant » de la scolastique médiévale et utilise sa terminologie, tout connaisseur du Moyen Âge peut s’en apercevoir. Néanmoins, rien n’est philosophiquement gagné avec cette « découverte » aussi longtemps que demeure obscure la portée fondamentale de cette influence de l’ontologie médiévale sur la détermination – ou la non-détermination – ontologique de la res cogitans pour les temps à venir. Et cette portée ne peut être appréciée que si préalablement le sens et les limites de l’ontologie antique sont mises en évidence à partir d’une orientation sur la question de l’être. En d’autres termes, la destruction se voit confrontée à la tâche d’interpréter le sol de l’ontologie antique à la lumière de la problématique de l’être-temporal. Or il apparaît alors que l’explicitation antique de l’être de l’étant est orientée sur le « monde » ou la « nature » au sens le plus large et qu’en effet elle obtient la compréhension de l’être à partir du « temps ». La preuve extérieure – elle n’est bien sûr que cela – en est la détermination du sens de l’être comme parousia ou ousia, ce qui signifie ontologico-temporalement la « présence ». L’étant est saisi en son être comme « présence », c’est-à-dire qu’il est compris par rapport à un mode temporel déterminé, le « présent ». EtreTemps6
Avec la caractérisation provisoire de l’objet thématique de la recherche (être de l’étant, ou sens de l’être en général), il semble que sa méthode soit aussi et déjà pré-dessinée. La dissociation de l’être par rapport à l’étant et l’explication de l’être lui-même, c’est là la tâche de l’ontologie. Mais la méthode de l’ontologie demeure au plus haut degré problématique tant que l’on veut – par exemple – prendre conseil auprès d’ontologies historiquement transmises ou de tentatives de ce genre. Comme le terme d’ontologie n’est appliqué à la présente recherche qu’en un sens formellement vaste, la voie qui consisterait à clarifier sa méthode en étudiant son histoire s’interdit d’elle-même. EtreTemps7
Considérée en son contenu, la phénoménologie est la science de l’être de l’étant – l’ontologie. Lors de notre éclaircissement des tâches de l’ontologie, nous est apparue la nécessité d’une ontologie-fondamentale ayant pour thème l’étant ontologico-ontiquement privilégié, le Dasein, mais aussi pour intention de se convoquer devant le problème cardinal, à savoir la question du sens de l’être en général. Or la recherche même nous montrera que le sens méthodique de la description phénoménologique est l’explicitation. Le logos de la phénoménologie du Dasein a le caractère de l’hermeneuein par lequel sont annoncés à la compréhension d’être qui appartient au Dasein lui-même le sens authentique de l’être et les structures fondamentales de son propre être. La phénoménologie du Dasein est herméneutique au sens originel du mot, d’après lequel il désigne le travail de l’explicitation. Cependant, dans la mesure où par la mise à découvert du sens de l’être et des structures fondamentales du Dasein en général est ouvert l’horizon de toute recherche ontologique ultérieure sur l’étant qui n’est pas à la mesure du Dasein (Daseinsmässig), cette herméneutique devient en même temps « herméneutique » au sens de l’élaboration des conditions de possibilité de toute recherche ontologique. Et pour autant, enfin, que le Dasein a la primauté ontologique sur tout étant – en tant qu’il est dans la possibilité de l’existence -, l’herméneutique en tant qu’explicitation (38) de l’être du Dasein reçoit un troisième sens spécifique, à savoir le sens, philosophiquement premier, d’une analytique de l’existentialité, de l’existence. Dans cette herméneutique, en tant qu’elle élabore ontologiquement l’historialité du Dasein comme la condition ontique de possibilité de la recherche historique, s’enracine par conséquent ce qui n’est nommé que dérivativement « herméneutique » : la méthodologie des sciences historiques de l’esprit. EtreTemps7
La question du sens de l’être est la plus universelle et la plus vide ; toutefois, elle contient en même temps la possibilité d’être individuée de manière plus aiguë sur le Dasein singulier. L’obtention du concept fondamental d’« être » et l’esquisse de la conceptualité ontologique par lui exigée, ainsi que de ses modifications nécessaires, ont besoin d’un fil conducteur concret. L’universalité du concept d’être n’est pas contradictoire avec la « spécialité » de l’enquête, c’est-à-dire avec une percée jusqu’à lui qui emprunte le chemin d’une interprétation spéciale d’un étant déterminé, le Dasein, où doit être conquis l’horizon pour la compréhension et l’explicitation possible de l’être. Mais cet étant lui-même est en soi « historial », de telle sorte que l’éclairage ontologique le plus propre de cet étant devient nécessairement une interprétation « historique ». EtreTemps8
La personne n’est pas une chose, n’est pas une substance, n’est pas un objet. On (48) souligne ainsi ce que Husserl (NA: Cf. dans Logos, I, loc. Cit.) suggère, lorsqu’il exige pour l’unité de la personne une constitution essentiellement autre que pour les choses naturelles. Ce que Scheler dit de la personne, il le formule également à propos des actes : « Mais jamais un acte n’est aussi objet ; car il appartient à l’essence de l’être des actes de n’être vécus que dans l’accomplissement lui-même et d’être donnés (seulement) dans la réflexion » (NA: M. SCHELER, op. cit., p. 246). Les actes sont quelque chose de non-psychique. Il appartient à l’essence de la personne de n’exister que dans l’accomplissement des actes intentionnels, elle n’est donc essentiellement pas un objet. Toute objectivation psychique, donc toute saisie des actes comme quelque chose de psychique, est identique à une dépersonnalisation. La personne est toujours donnée comme ce qui accomplit des actes intentionnels qui sont liés par l’unité d’un sens. L’être psychique n’a donc rien à voir avec l’être-personne. Les actes sont accomplis, la personne est ce qui les accomplit. Mais quel est le sens ontologique de cet « accomplir », comment doit-on déterminer dans un sens ontologique positif le mode d’être de la personne ? En fait, l’interrogation critique ne peut en rester là. Car ce qui est en question, c’est l’être de l’homme tout entier, tel qu’on a coutume de le saisir comme unité à la fois corporelle, psychique et spirituelle. Le corps, l’âme, l’esprit, ces termes peuvent à nouveau désigner des domaines phénoménaux que l’on peut prendre pour thèmes séparés de recherches déterminées ; dans certaines limites, l’indétermination ontologique de ces domaines peut rester sans importance. Cependant, dans la question de l’être de l’homme, il est exclu d’obtenir celui-ci par la simple sommation des modes d’être – qui plus est encore en attente de détermination – du corps, de l’âme et de l’esprit. Même une tentative qui voudrait suivre une telle voie ontologique ne pourrait s’empêcher de présupposer une idée de l’être du tout. Ce qui cependant défigure et fourvoie la question fondamentale de l’être du Dasein, c’est l’orientation persistante sur l’anthropologie antico-chrétienne, dont même le personnalisme et la philosophie de la vie manquent d’apercevoir combien les fondements ontologiques en sont insuffisants. Cette anthropologie traditionnelle inclut : 1. La définition de l’homme : zoon logon echon interprétée comme : animal rationale, être vivant raisonnable. Mais le mode d’être du zoon est ici entendu au sens de l’être-sous-la-main et de la survenance. Quant au logos, il constitue un équipement de dignité supérieure, mais le mode d’être en demeure tout aussi obscur que celui de l’étant ainsi composé. 2. L’autre fil conducteur pour la détermination de l’être et de l’essence de l’homme est théologique : kai eipen ho theos : poesomen anthropon kat’ eikona hemeteran kai kath’ homoiosin (49), « faciamus hominem ad imaginem nostram et similitudinem » (NA: Genèse, I, 26.). C’est à partir de ce texte que l’anthropologie théologique chrétienne, reprenant en même temps à son compte la définition antique, élabore une interprétation de l’étant que nous appelons homme. Mais tout comme l’être de Dieu, de même, c’est avec les moyens de l’ontologie antique que l’être de l’ens finitum est interprété ontologiquement. Au cours des temps modernes, la définition chrétienne a été déthéologisée. Cependant l’idée de la « transcendance », selon laquelle l’homme est quelque chose qui tend à se dépasser soi-même, jette ses racines dans la dogmatique chrétienne, dont nul ne dira qu’elle se soit jamais fait un problème ontologique de l’être de l’homme. Cette idée de transcendance, d’après laquelle l’homme est plus qu’un être intelligent, a exercé son influence à travers diverses métamorphoses. On peut en illustrer la provenance par les citations suivantes : « His praeclaris dotibus excelluit prima hominis conditio, ut ratio, intelligentia, prudentia, judicium non modo ad terrenae vitae gubernationem suppeterent, sed quibus transcenderet usque ad Deum et aeternam felicitatem » (NA: CALVIN, Institutio, I, 15, §8 (EtreTemps8).; (NT: Cf. le Handbuch, p 457-458. « Par ces dons admirables, le premier état de l’homme fut rendu si excellent que sa raison, son intelligence, sa prudence, son jugement ne s’appliquaient point seulement à la conduite de la vie terrestre, mais encore l’élevaient jusqu’à Dieu et à la félicité éternelle. »)). « Denn dass der Mensch sin ufsehen hat uf Gott und sin wort, zeigt er klarlich an, dass er nach siner natur etwas Gott näher anerborn, etwas mee nachschlägt, etwas zuzugs zu jm hat, das alles on zwyfel darus flüsst, dass er nach der bildnus Gottes geschaffen ist » (NA: ZWINGLI, Von der Klarheit des Wortes Gottes, dans Deusche Schriften, t. I, p. 56.; (NA: Cf., sur cette référence, le Handbuch, p. 488-490. BW traduisaient ainsi la citation : « Mais par cela que l’homme regarde vers le haut, vers Dieu et son Verbe, il manifeste clairement qu’il est par sa nature né fort proche de Dieu, qu’il lui ressemble, qu’il a quelque rapport à lui, toutes choses qui sans doute viennent de ceci qu’il a été créé à l’image de Dieu. »)). EtreTemps10
Les origines essentielles de l’anthropologie traditionnelle, la définition grecque et le fil conducteur théologique, indiquent que, par-delà la détermination d’essence de l’étant « homme », la question de son être demeure oubliée, et que cet être est bien plutôt conçu comme « allant de soi » au sens de l’être-sous-la-main des autres choses créées. Dans l’anthropologie moderne, ces deux fils conducteurs s’enchevêtrent avec le point de départ méthodique pris dans la res cogitans, la conscience (Gewissen), le tissu des vécus. Mais comme les cogitationes demeurent tout aussi indéterminées ontologiquement, quand elles ne sont à nouveau prises tacitement pour « allant de soi » comme quelque chose de « donné » dont l’être n’est soumis à aucune question, la problématique anthropologique reste indécise en ses fondations ontologiques décisives. EtreTemps10
Avec ce dans quoi il se comprend toujours déjà ainsi, le Dasein est originairement familier. Cette familiarité avec le monde ne requiert pas nécessairement une transparence théorique des rapports qui constituent le monde comme monde. En revanche la possibilité d’une interprétation ontologico-existentiale expresse de ces rapports se fonde dans la familiarité avec le monde constitutive du Dasein, laquelle de son côté co-constitue sa compréhension de l’être. Cette possibilité peut être explicitement saisie pour autant que le Dasein s’est donné lui-même pour tâche une interprétation originaire de son être et des possibilités de celui-ci, ou même du sens de l’être en général. EtreTemps18
L’être de la substance dont l’extensio représente la proprietas insigne devient par (93) conséquent déterminable en son fond ontologique à condition que soit éclairci le sens de l’être « commun », aux trois substances – à la substance infinie et aux deux substances finies. Seulement, « nomen substantiae non convenit Deo et illis univoce, ut dici solet in Scholis, hoc est… quae Deo et creaturis sit communis » NA: Ibid. (NT: « Le nom de substance ne convient pas à Dieu et à elles (aux créatures) univoquement… c’est-à-dire de telle manière qu’il soit commun à lui et à elles. ». Descartes touche ici à un problème qui n’avait cessé de préoccuper l’ontologie médiévale : à la question de savoir en quelle guise la signification de l’être signifie proprement l’étant à chaque fois interpellé. Dans les énoncés « Dieu est » et « le monde est », nous énonçons l’être. Mais ce mot « est » ne peut pas alors viser chacun de ces étants au même sens (sunonumos, univoce) dans la mesure où subsiste entre eux une différence infinie d’être ; si le signifier du « est » était univoque, alors le créé serait visé comme incréé ou l’incréé ravalé au rang de créé. Cependant, l’« être » ne fonctionne pas non plus comme simple nom identique, mais dans les deux cas c’est bien l’« être » qui est compris. La scolastique conçoit le sens positif du signifier de l’« être », comme signifier « analogique », par opposition au signifier univoque ou seulement homonyme (équivoque). Sous l’invocation d’Aristote, chez qui le problème est préformé au point de départ même de l’ontologie grecque en général, divers types d’analogie ont été fixés, d’après lesquels également les « Écoles » se distingueront dans leur conception de la fonction significative de l’être. En ce qui concerne l’élaboration ontologique du problème, Descartes reste loin derrière la scolastique NA: Cf., à ce propos, Opuscula omnia Thomae de Vio Caietanis Cardinalis, Lyon, 1580, t. III, tractatus V : « De nominum analogia », p. 211-219., et même il esquive la question. « Nulla ejus (substantiae) nominis significatio potest distincte intelligi, quae Deo et creaturis sit communis » NA: DESCARTES, Principia, I, 51, p. 24 (NT: « Aucune signification de son nom (scil. de la subtance) ne peut être distinctement représentée qui soit commune à Dieu et aux créatures. ». Cette esquive signifie que Descartes laisse inélucidé le sens de l’être renfermé dans l’idée de substantialité et le caractère d’« universalité » de cette signification. Cela dit, l’ontologie médiévale elle-même s’est tout aussi peu enquise que l’ontologie antique de ce que l’être lui-même veut dire, et c’est pourquoi il n’est pas étonnant qu’une question comme celle du mode de signification de l’être ne puisse faire un seul pas tant que l’on veut l’élucider sur la base d’un sens non-clarifié de l’être, que cette signification serait censée « exprimer ». Si ce sens est demeuré non-clarifié, c’est parce qu’on le tenait pour « allant de soi ». EtreTemps20
(94) Descartes ne se contente pas d’esquiver la question ontologique de la substantialité, mais il souligne expressément que la substance comme telle, c’est-à-dire sa substantialité, est d’emblée en et pour soi inaccessible. « Verumtamen non potest substantia primum animadverti ex hoc solo, quod sit existens, quia hoc solum per se nos non afficit » NA: Id., 52, p. 25; NT: (« Cependant la substance ne peut d’abord être aperçue à partir de cela seul qu’elle existe, car cela seul ne nous affecte pas par soi. ». L’« être » lui-même ne nous « affecte » pas, aussi ne peut-il être perçu. « L’être n’est pas un prédicat réal », selon l’expression de Kant, qui se borne à restituer la proposition de Descartes. Du coup, l’on renoncera fondamentalement à la possibilité d’une pure problématique de l’être, et l’on cherchera une échappatoire pour obtenir ensuite les déterminations citées des substances : comme l’« être » est en effet inaccessible comme étant, il sera exprimé à l’aide de déterminité (Bestimmtheit)s étantes de l’étant en question – d’attributs. Non pas cependant à l’aide de n’importe quels attributs, mais à l’aide de ceux qui satisfont le plus purement au sens de l’être et de la substantialité que l’on persiste à présupposer tacitement. Dans la substantia finita comme res corporea, l’« assignation » primairement nécessaire est l’extensio. « Quin et facilius intelligimus substantiam extensam, vel substantiam cogitantem, quam substantiam solam, omisso eo quod cogitet vel sit extensa » NA: 2 Id., 63, p. 31; NT : (« De plus nous nous représentons plus facilement la substance étendue ou la substance pensante que la substance seule abstraction faite de ce quelle pense ou est étendue. »), car la substantialité ne peut être dégagée que ratione tantum, non pas realiter, elle ne peut être trouvée comme le substantiellement étant lui-même. EtreTemps20
Et pourtant, même abstraction faite du problème spécifique du monde, peut-on espérer accéder ontologiquement par cette voie à l’être de l’étant qui fait de prime abord encontre dans le monde ambiant ? En se référant à la choséité (Dinglichkeit) matérielle, n’a-t-on pas déjà posé tacitement un sens de l’être – l’être-sous-la-main chosique constant – auquel l’équipement après coup de l’étant à l’aide de prédicats axiologiques apportera ensuite si peu un complément ontologique que ces caractères de valeur, au contraire, ne demeurent eux-mêmes que des déterminité (Bestimmtheit)s ontiques d’un étant qui a le mode d’être de la chose ? L’ajout de prédicats axiologiques n’est pas le moins du monde capable de nous apporter de nouvelle révélation sur l’être des « biens », s’il est vrai qu’il ne fait que présupposer à nouveau pour eux le mode d’être du pur être-sous-la-main. Des valeurs sont des déterminité (Bestimmtheit)s sous-la-main d’une chose. Elles ne tiennent finalement leur origine ontologique que de la position préalable de la réalité chosique comme couche fondamentale. Or l’expérience préphénoménologique nous montre déjà dans l’étant prétendument chosique quelque chose que la choséité (Dinglichkeit) ne parvient pas à rendre pleinement compréhensible. L’être chosique, par conséquent, a besoin d’un complément. Que signifie donc ontologiquement l’être des valeurs, ou leur « validité » que Lotze interprétait comme un mode d’« affirmation » ? Que signifie ontologiquement cette « adhérence » des valeurs aux choses ? Tant que ces déterminations demeurent dans l’obscurité, la reconstruction de la chose d’usage à partir de la chose naturelle ne peut apparaître que comme une opération ontologiquement discutable, indépendamment même de l’inversion fondamentale de la problématique qu’elle représente. Car cette reconstruction de la chose d’usage que l’on a d’abord « dépouillée » n’a-t-elle pas toujours déjà besoin du regard préalable, positif sur le phénomène dont la totalité doit être reproduite dans la reconstruction ? Car si la constitution d’être la plus propre de celui-ci n’est pas d’abord adéquatement explicitée, alors la reconstruction ne reconstruit-elle point sans le moindre plan ? Dans la mesure où cette reconstruction et ce « complément » de l’ontologie traditionnelle du « monde » atteint pour résultat ce même étant dont était partie notre analyse (100) antérieure de l’être-à-portée-de-la-main de l’outil (Zeug) et de la totalité de tournure (Bewandtnis), elle crée l’illusion que l’être de cet étant serait en effet éclairci, ou tout au moins pris comme problème. Mais aussi peu Descartes, grâce à l’extensio comme proprietas, touche à l’être de la substance, tout aussi peu le recours à des propriétés « axiologiques » est capable de porter seulement sous le regard l’être comme être-à-portée-de-la-main, et encore moins de faire de lui un thème proprement ontologique. EtreTemps21
En apparence, nos indications formelles au sujet des déterminité (Bestimmtheit)s fondamentales du Dasein (cf. §9 (EtreTemps9)) ont déjà fourni la réponse à la question de savoir qui cet étant (le Dasein) est à chaque fois. Le Dasein est un étant que je suis à chaque fois moi-même, son être est mien. Cette détermination indique une constitution ontologique, mais elle ne fait pas plus. Elle contient en même temps l’indication ontique – au demeurant grossière – selon laquelle c’est à chaque fois un Je qui est cet étant, et non pas autrui. La question qui ? puise sa réponse dans le Je lui-même, dans le « sujet », le « Soi-même ». Le qui est ce qui se maintient identique dans le changement des comportements et des vécus, et qui se rapporte alors à cette multiplicité. Ontologiquement, nous le comprenons comme ce qui est à fois, déjà et constamment sous-la-main dans et pour une région close – comme ce qui gît au fond en un sens éminent : subjectum. Celui-ci, en tant qu’il reste même dans une altérité multiple, a le caractère du Soi-même. On peut bien récuser l’idée de substance de l’âme, de la choséité (Dinglichkeit) de la conscience (Gewissen) ou d’objectivité de la personne, il n’en reste pas moins que, du point de vue ontologique, l’on continue de poser quelque chose dont l’être conserve explicitement ou non le sens de l’être-sous-la-main. La substantialité, tel est le fil conducteur ontologique de la détermination de l’étant à partir duquel la question du qui ? reçoit réponse. Tacitement, le (115) Dasein est d’emblée conçu comme sous-la-main ; à tout le moins l’indétermination de son être implique-t-elle toujours ce sens d’être. Et pourtant, l’être-sous-la-main est le mode d’être de l’étant qui n’est pas à la mesure du Dasein (Daseinsmässig). EtreTemps25
Le Dasein quotidien (alltäglich) puise l’explicitation préontologique de son être dans le mode d’être (130) prochain du On. De prime abord, l’interprétation ontologique suit cette tendance explicitative, elle comprend le Dasein à partir du monde et le trouve comme un étant intramondain. Plus encore : l’ontologie « prochaine » va jusqu’à se laisser donner par le « monde » le sens de l’être par rapport auquel ces « sujets » étants sont compris. Mais comme le phénomène du monde passe lui-même inaperçu dans cette identification au monde, c’est le sous-la-main intramondain, ce sont les choses qui prennent sa place. L’être de l’étant qui est-Là-avec est conçu comme être-sous-la-main. Ainsi la mise en lumière du phénomène positif de l’être-au-monde (In-der-Welt-sein) quotidien (alltäglich) prochain ouvre-t-elle un aperçu sur la racine de l’omission de cette constitution d’être par l’interprétation ontologique. C’est elle-même qui, en son mode d’être quotidien (alltäglich), se manque et se recouvre de prime abord. EtreTemps27
L’étant qui est essentiellement constitué par l’être-au-monde (In-der-Welt-sein) est lui-même à chaque fois son « Là ». Suivant la signification familière des mots, le « là » fait référence à l’« ici » et au « là-bas ». Le « ici » d’un « Moi-ici » se comprend toujours à partir d’un « là-bas » à-portée-de-la-main, au sens de l’être é-loignant-orientant-préoccupé par ce là-bas. La spatialité existentiale du Dasein, qui lui détermine ainsi son « lieu », se fonde elle-même sur l’être-au-monde (In-der-Welt-sein). Le là-bas est la déterminité (Bestimmtheit) d’un étant faisant encontre de manière intramondaine. « Ici » et « là-bas » ne sont possibles qu’en un « Là », c’est-à-dire pour autant que soit un étant qui, en tant qu’être du « Là », a ouvert de la spatialité. Cet étant porte, en son être le plus propre, le caractère de l’absence de fermeture NA: Litt. le caractère de ce qui n’est pas verschlossen, c’est-à-dire « renfermé ». Tout comme erschlossen, ouvert, le mot s’applique surtout en allemand courant à un homme. Cf. supra, p. 75.. L’expression « Là » désigne cette ouverture essentielle. Par celle-ci, cet étant (le Dasein) est « là » pour lui-même tout uniment avec l’être-là du monde. EtreTemps28
De même, lorsque nous nous enquérons du sens de l’être, cette recherche n’a rien d’abstrus, elle ne forge pas quelque chose qui se tiendrait derrière l’être, mais elle le questionne lui-même, pour autant qu’il se tient engagé dans la compréhensivité du Dasein. Le sens de l’être ne peut jamais être mis en opposition à l’étant ou à l’être comme « fond » portant de l’étant, car le « fond » n’est lui-même accessible que comme sens, celui-ci serait-il même l’abîme de l’absence de sens. EtreTemps32
L’analytique du Dasein, en poussant jusqu’au phénomène du souci, est destinée à préparer la problématique fondamental-ontologique, la question du sens de l’être en général. Il convient donc, à partir des résultats acquis, d’infléchir expressément le regard dans cette direction, autrement dit de dépasser la tâche particulière d’une anthropologie apriorique existentiale. Or pour cela, les phénomènes qui se tiennent dans la connexion la plus étroite avec la question directrice de l’être doivent être pris en vue rétrospectivement et saisis de manière encore plus pénétrante. Ces phénomènes, ce sont d’une part les guises de l’être qui ont été expliquées : l’être-à-portée-de-la-main, l’être-sous-la-main, qui déterminent l’étant intramondain qui n’est pas à la mesure du Dasein (Daseinsmässig). Or comme la problématique ontologique, depuis toujours, a compris primairement l’être au sens de l’être-sous-la-main (« réalité », effectivité du monde) tout en laissant l’être du Dasein ontologiquement indéterminé, il est besoin d’une élucidation de la connexion ontologique entre souci, mondanéité (Weltlichkeit), être-à-portée-de-la-main et être-sous-la-main (réalité). Ce qui nous conduira à une détermination plus aiguë du concept de réalité dans le cadre d’une discussion des problématiques gnoséologiques orientées sur cette idée, à savoir celle du réalisme et de l’idéalisme. EtreTemps39
L’expression « souci » désigne un phénomène ontologico-existential fondamental, qui néanmoins n’est pas simple en sa structure. La totalité ontologiquement élémentaire de la structure du souci ne peut pas plus être reconduite à un « élément originaire » ontique que l’être, à coup sûr, ne peut être « expliqué » à partir de l’étant. Finalement, il nous apparaîtra que l’idée de l’être en général est tout aussi peu « simple » que l’être du Dasein. La détermination du souci comme être-en-avant-de-soi-dans-l’être-déjà-dans… – comme être-auprès… montre nettement que ce phénomène est lui aussi en soi structurellement articulé. Or n’est-ce pas là l’indice phénoménal que la question ontologique doit être poussée encore plus loin pour dégager un phénomène encore plus originaire, qui porte ontologiquement l’unité et la totalité de la multiplicité structurelle du souci ? Mais avant que la recherche poursuive cette question, il est besoin d’une appropriation rétrospective et plus aiguë de ce qui a été jusqu’ici interprété, du point de vue de la question fondamental-ontologique du sens de l’être en général. Toutefois, nous devons auparavant montrer que ce qui en cette interprétation est ontologiquement « nouveau » est ontiquement tout à fait ancien. Bien loin de le plier à une idée imaginaire, l’explication de l’être du Dasein porte pour nous existentialement au concept ce qui a déjà été ouvert ontico-existentiellement. EtreTemps41
Mais maintenant, la recherche, dans la perspective de la question directrice du sens de l’être et de son élaboration, doit s’assurer expressément de ses acquisitions antérieures. Ce qu’elle ne saurait accomplir à l’aide d’un résumé extérieur de ce qui a été élucidé. Bien plutôt ce qui n’a été que grossièrement indiqué au commencement de l’analytique existentiale doit-il, grâce à ces acquisitions, être accentué de manière à prendre la forme d’une problématique plus aiguë. EtreTemps42
C’est pourquoi non seulement l’analytique du Dasein, mais encore l’élaboration de la question du sens de l’être en général doit être détachée de cette orientation unilatérale sur l’être au sens de réalité. Une chose doit être avant tout montrée : la réalité n’est pas seulement un mode d’être parmi d’autres, mais elle se tient ontologiquement dans une certaine connexion de dérivation avec le Dasein, le monde et l’être-à-portée-de-la-main. Cette monstration exige une élucidation fondamentale du problème de la réalité, de ses conditions et de ses limites. EtreTemps43
« Il » n’« y a » d’être – non pas d’étant – qu’autant que la vérité est. Et elle n’est qu’autant et aussi longtemps que le Dasein est. Être et vérité « sont »cooriginairement. Ce que signifie : l’être « est », si tant est qu’il doit être distingué de tout étant, cela ne peut être questionné concrètement que si le sens de l’être et la portée de la compréhension d’être sont en général éclaircis. Alors seulement il devient également possible d’expliciter ce qui appartient au concept d’une science de l’être comme tel, de ses possibilités et de ses modifications. Et c’est enfin grâce à une délimitation par rapport à cette recherche et à sa vérité que devra être ontologiquement déterminée la recherche en tant que découverte de l’étant et la vérité de cette découverte. EtreTemps44
Si c’est, avec le souci, la constitution d’être originaire du Dasein qui doit être conquise, alors il faut aussi que, sur cette base, la compréhension d’être comprise dans le souci puisse être portée au concept, autrement dit le sens de l’être délimité. Mais est-ce qu’avec le phénomène du souci la constitution ontologico-existentiale la plus originaire du Dasein est ouverte ? Est-ce que la multiplicité structurelle contenue dans le phénomène du souci livre la totalité la plus originelle de l’être du Dasein factice ? Est-ce que la recherche antérieure a en général réussi à prendre en vue le Dasein comme totalité ? EtreTemps44
Est cherchée la réponse à la question du sens de l’être en général, et avant tout la possibilité d’une élaboration radicale de cette question fondamentale de toute ontologie. Or libérer l’horizon où quelque chose comme l’être en général devient compréhensible, cela équivaut à éclaircir la possibilité de la compréhension de l’être en général, laquelle appartient elle-même à la constitution de l’étant que nous appelons Dasein (NA: Cf. supra, §6, p. 19 sq., §21 (EtreTemps21), p. 95 sq. et §43 (EtreTemps43) p. 201.). Néanmoins, la compréhension de l’être ne peut être éclaircie radicalement en tant que moment essentiel d’être du Dasein que si l’étant à l’être duquel elle appartient est en lui-même interprété originairement quant à son être. EtreTemps45
Le Dasein des autres, avec la totalité qu’il atteint dans la mort, est lui aussi un ne-plus-être-Là au sens d’un ne-plus-être-au-monde (In-der-Welt-sein). Mourir, cela ne signifie-t-il pas quitter le monde, perdre l’être-au-monde (In-der-Welt-sein) ? Néanmoins, le ne-plus-être-au-monde (In-der-Welt-sein) du mort, si on le comprend de manière extrême, est un être au sens de l’être sans plus sous-la-main d’une chose corporelle qui fait encontre. Dans le mourir des autres peut être expérimenté le remarquable phénomène d’être qui se laisse déterminer comme virage d’un étant du mode d’être du Dasein (ou de la vie) au ne-plus-être-Là. La fin de l’étant comme Dasein est le commencement de cet étant comme sous-la-main. EtreTemps47
Dans le cadre de la présente recherche, la caractérisation ontologique de la fin et de la totalité ne peut être que provisoire. Son achèvement requiert non seulement le dégagement de la structure formelle de la fin en général et de la totalité en général, mais encore elle a besoin d’un développement de ses possibles modifications structurelles régionales, autrement dit de ses modifications en tant que dé-formalisées, à chaque fois rapportées à l’étant « spécifique » concerné et déterminées à partir de l’être de celui-ci. Tâche qui, à son tour, présuppose une interprétation positive suffisamment univoque des modes d’être qui exigent une division régionale du tout de l’étant. Cependant, la compréhension de telle guise d’être exige derechef une idée clarifiée de l’être en général. Bref, un achèvement adéquat de l’analyse ontologique de la fin et de la totalité n’échoue pas seulement devant l’ampleur de son thème, mais encore sur la difficulté fondamentale consistant en ce que, pour maîtriser cette tâche, ce qui est cherché par une telle recherche (le sens de l’être en général) doit précisément être déjà présupposé comme trouvé et bien connu. EtreTemps48
Ces significations vulgaires de l’être-en-dette comme « avoir des dettes auprès de… » et « être responsable de… » peuvent converger et déterminer un comportement que nous nommons : « se mettre en dette », autrement dit : léser un droit en étant responsable du fait d’avoir des dettes, et se rendre ainsi passible d’une peine. Toutefois, l’exigence à laquelle on ne satisfait pas n’a pas nécessairement besoin d’être relative à une propriété, elle peut régler en général l’être-l’un-avec-l’autre (Miteinandersein) public. D’autre part, le « se-mettre-en-dette » ainsi déterminé, celui qui lèse un droit, peut avoir en même temps le caractère d’un « devenir-en-dette envers autrui ». Cela n’advient pas par l’entorse au droit en tant que telle, mais par le fait que je suis responsable de ce que l’autre est mis en péril, égaré ou même brisé dans son existence. Ce devenir-en-dette envers autrui est possible sans infraction à la loi « publique ». Le concept formel de l’être-en-dette au sens de l’être-devenu-en-dette envers autrui peut donc être ainsi déterminé : être le fondement d’un manque dans le Dasein d’un autre, de telle sorte que cet être-fondement se détermine lui-même à partir de son pour-quoi comme « déficient ». Cette déficience est le manquement vis-à-vis d’une exigence qui s’applique à l’être-avec (Mitsein) existant avec autrui. EtreTemps58
Lorsque nous disons : l’étant « a du sens », cela signifie : il est devenu accessible dans son être, lequel n’a « à proprement parler » de sens que projeté vers son vers-quoi. Si l’étant « a » du sens, c’est seulement parce que, d’emblée ouvert en tant qu’être, il devient compréhensible dans le projet de l’être, c’est-à-dire à partir du vers-quoi de celui-ci. C’est le (325) projet primaire du comprendre de l’être qui « donne » le sens. La question du sens de l’être d’un étant fait du vers-quoi du comprendre d’être sous-jacent à tout être de l’étant son thème propre. EtreTemps65
Que nous nous interrogions dans le cours d’analyses ontologico-existentiales sur la « naissance » de la découverte théorique à partir de la préoccupation (Besorgen) circon-specte, cela suffit (357) déjà à indiquer que ce ne sont pas ici l’histoire et l’évolution ontiques de la science, ses conditions factices et ses finalités prochaines qui seront prises pour thème. Nous interrogeant au contraire sur la genèse ontologique du comportement théorique, nous demandons : quelles sont les conditions inhérentes à la constitution d’être du Dasein et existentialement nécessaires qui permettent que le Dasein puisse exister selon la guise de la recherche scientifique ? Ce questionnement vise un concept existential de la science. De lui se distingue le concept « logique », qui comprend la science du point de vue de son résultat et la détermine comme une « connexion de dérivation de propositions vraies, c’est-à-dire valides ». Le concept existential comprend la science comme une guise de l’existence et, du même coup, comme un mode de l’être-au-monde (In-der-Welt-sein), mode qui découvre, ou qui ouvre de l’étant, ou de l’être. Toutefois, l’interprétation existentiale exhaustive de la science ne peut être accomplie que si le sens de l’être et la « connexion » entre être et vérité (NA: Cf. supra, §44 (EtreTemps44), p. 212 sq.) sont éclaircis à partir de la temporalité de l’existence. Les réflexions qui suivent préparent la compréhension de cette problématique centrale, à l’intérieur de laquelle seulement l’idée de la phénoménologie est elle aussi développée, en opposition à son préconcept, indiqué dans notre introduction (NA: Cf. supra, §7 (EtreTemps7), p. 27 sq.). EtreTemps69
Tous les efforts de l’analytique existentiale sont tournés vers cet unique but : trouver une possibilité de réponse à la question du sens de l’être en général. L’élaboration de cette question requiert une délimitation du phénomène où devient accessible quelque chose comme l’être – la compréhension de l’être. Or celle-ci appartient à la constitution d’être du Dasein. C’est seulement si cet étant a tout d’abord été interprété de manière suffisamment originaire que la compréhension d’être incluse dans sa constitution d’être peut elle-même être conçue, et, sur cette base, être posée la question de l’être compris en elle et des « présupposés » de ce comprendre. EtreTemps72
Bien loin de remplir seulement, à travers les phases de ses effectivités momentanées, un cours et un chemin « de la vie » qui serait en quelque manière sous-la-main, le Dasein s’é-tend lui-même, et cela de telle manière que c’est son être propre qui est d’emblée constitué comme ex-tension. C’est dans l’être du Dasein que se trouve déjà le « entre » de la naissance et de la mort. En revanche, le Dasein n’« est » nullement effectif en un point temporel, ni, de surcroît, « entouré » par la non-effectivité de sa naissance et de sa mort. Entendue existentialement, la naissance n’est pas, n’est jamais du passé au sens d’un étant qui n’est plus sous-la-main, et pas davantage la mort n’a-t-elle le mode d’être d’un « reste » non encore sous-la-main et seulement à venir. Le Dasein factice existe nativement, et c’est nativement encore qu’il meurt au sens de l’être pour la mort. L’une et l’autre « fins », ainsi que leur « entre deux » sont aussi longtemps que le Dasein existe facticement, et elles sont comme il leur est seulement possible d’être sur la base de l’être du Dasein comme souci. Dans l’unité de l’être-jeté et de l’être pour la mort fugitif – ou devançant -, naissance et mort « s’enchaînent » à la mesure du Dasein (Daseinsmässig). En tant que souci, le Dasein est l’« entre-deux ». EtreTemps72
Néanmoins, le Dasein doit nécessairement être aussi nommé « temporel » au sens de l’être « dans le temps ». Le Dasein factice, même sans théorie historique élaborée, a besoin de et emploie le calendrier et l’horloge. Ce qui advient « de lui », il l’expérimente comme se produisant « dans le temps ». De la même façon, les processus de la nature inerte et vivante (377) font encontre « dans le temps ». Ils sont intra-temporels. Dès lors il serait tentant de faire précéder l’élucidation de la connexion entre historialité et temporalité par l’analyse – située ici seulement au chapitre suivant (NA: Cf. infra, §80 (EtreTemps80), p. 411 sq.) – de l’origine du « temps » de l’intratemporalité à partir de la temporalité. Toutefois, pour ôter à la caractérisation vulgaire de l’historial à l’aide du temps de l’intratemporalité son « évidence » et son exclusivité apparentes, il convient tout d’abord, ainsi que l’exige également la structure de la chose même, que l’historialité soit « déduite » de manière pure de la temporalité originaire du Dasein. Mais dans la mesure où le temps comme intratemporalité « provient » aussi de la temporalité du Dasein, historialité et intratemporalité n’en manifesteront pas moins une cooriginarité. Par suite, l’explicitation vulgaire du caractère temporel de l’histoire préserve son droit dans les limites qui sont les siennes. EtreTemps72
Tout ce qui nous incombe ici est de délimiter l’orbe de phénomènes qui, lorsqu’on parle de l’historialité du Dasein, est nécessairement co-visé ontologiquement. Sur la base de la transcendance, temporellement fondée, du monde, du mondo-historial est à chaque fois déjà « objectivement » là dans le provenir de l’être-au-monde (In-der-Welt-sein) existant, sans être saisi historiquement. Et comme le Dasein factice s’identifie de manière échéante à sa préoccupation (Besorgen), il comprend de prime abord son histoire mondo-historialement. Et comme de surcroît la compréhension vulgaire de l’être comprend indifféremment l’« être » comme être-sous-la-main, l’être du mondo-historial est expérimenté et explicité au sens d’un sous-la-main qui arrive, est présent et disparaît. Et comme, enfin, le sens de l’être vaut en général pour ce qu’il y a de plus « évident », la question du mode d’être du mondo-historial et de la mobilité du provenir en général passe « quand même et à parler vrai » pour la sophistication stérile d’un verbalisme creux. EtreTemps75
Dans l’élaboration du concept vulgaire de temps se manifeste une hésitation remarquable sur la question de savoir s’il convient d’attribuer au temps un caractère « subjectif » ou « objectif ». Même lorsqu’on le conçoit comme étant en soi, on ne laisse pas de l’assigner de manière privilégiée à l’« âme », et, au contraire, lorsqu’il est doué d’un caractère « conscient », il fonctionne pourtant « objectivement ». Dans l’interprétation du temps par Hegel, l’une et l’autre possibilités sont portées à une certaine assomption. Hegel s’efforce de déterminer la connexion entre « temps » et « esprit » afin de faire comprendre par là pourquoi l’esprit comme histoire « tombe dans le temps ». Dans son résultat, l’interprétation précédente de la temporalité du Dasein et de l’appartenance à elle du temps-du-monde parait converger avec celle de Hegel. Cependant, comme la présente analyse du temps se distingue fondamentalement de Hegel dès le point de départ, et comme elle est orientée par son but propre – à savoir son intention fondamental-ontologique – en sens contraire de la sienne, une brève exposition de la conception hegélienne de la relation entre temps et esprit pourra n’être pas inutile pour clarifier – et conclure provisoirement – l’interprétation ontologico-existentiale de la temporalité du Dasein, du temps-du-monde et de l’origine du concept vulgaire de temps. (406) La question de savoir si et comment un « être » échoit au temps, pourquoi et en quel sens nous l’appelons « étant », ne peut recevoir réponse que s’il est montré en quelle mesure la temporalité elle-même, dans le tout de sa temporalisation, rend possible quelque chose comme une compréhension de l’être et une advocation de l’étant. Par suite, le plan de ce chapitre sera celui-ci : la temporalité du Dasein et la préoccupation (Besorgen) du temps (§79 (EtreTemps79)) ; le temps de la préoccupation (Besorgen) et l’intratemporalité (§80 (EtreTemps80)) ; l’intratemporalité et la genèse du concept vulgaire de temps (§81 (EtreTemps81)) ; dissociation de la connexion ontologico-existentiale de la temporalité, du Dasein et du temps-du-monde par rapport à la conception hegélienne de la relation entre temps et esprit (§82 (EtreTemps82)) ; l’analytique temporalo-existentiale du Dasein et la question fondamental-ontologique du sens de l’être en général (§83 (EtreTemps83)). EtreTemps78
Ce qui parait aussi éclairant que la différence séparant l’être du Dasein existant de l’être de l’étant qui n’est pas à la mesure du Dasein (Daseinsmässig) (la réalité, par exemple) n’est pourtant que le (437) départ de la problématique ontologique, et