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Sein und Zeit

Être et temps : § 68. La temporalité de l’ouverture en général.

Ser e Tempo

quinta-feira 17 de julho de 2014, por Cardoso de Castro

Vérsions hors-commerce:

MARTIN HEIDEGGER, Être et temps, traduction par Emmanuel Martineau  . ÉDITION NUMÉRIQUE HORS-COMMERCE

HEIDEGGER, Martin. L’Être et le temps. Tr. Jacques Auxenfants  . (ebook-pdf)

La temporalité

La résolution que nous avons caractérisée quant à son sens temporel représente une ouverture authentique du Dasein  . Celle-ci constitue un étant de manière telle que, en existant, il peut être lui-même son « Là ». Cependant, le souci n’a été caractérisé en son sens temporel que dans ses traits fondamentaux. Mettre en lumière sa constitution temporelle concrète, cela signifie interpréter temporellement le détail de ses moments structurels, c’est-à-dire le comprendre, l’affection, l’échéance et le parler. Tout comprendre à sa tonalité. Toute affection est compréhensive. Le comprendre affecté a le caractère de l’échéance. Le comprendre intoné de manière échéante s’articule quant à sa compréhensivité dans le parler. La constitution temporelle des phénomènes cités reconduit à chaque fois à cette unique temporalité qui permet de garantir l’unité structurelle possible du comprendre, de l’affection, de l’échéance et du parler.

a) du comprendre

[336] a) La temporalité du comprendre [1].

Sous le nom de comprendre, nous désignons un existential fondamental ; il ne s’agit ni d’un mode déterminé de connaître, distingué par exemple de l’expliquer et du concevoir, ni en général d’un connaître au sens de la saisie thématique. Au contraire, le comprendre constitue l’être du Là de telle manière que c’est sur sa base qu’un Dasein peut configurer en existant les diverses possibilités que constituent la vue, la circon-spection, l’a-viser-sans-plus. Tout expliquer, en tant que découverte compréhensive de l’in-compréhensible, se fonde dans le comprendre primaire du Dasein.

Saisi de manière originairement existentiale, le comprendre signifie : être-projetant pour un pouvoir-être en-vue-de quoi le Dasein existe à chaque fois. Le comprendre ouvre le pouvoir-être propre de telle manière que le Dasein, en comprenant, sait à chaque fois en quelque façon ce qu’il en est de lui-même, « où il en est ». Cependant ce « savoir » ne consiste pas à avoir découvert un fait, mais à se tenir dans une possibilité existentielle. Quant au non-savoir correspondant, il ne consiste pas dans le défaut du comprendre, mais doit être considéré comme un mode déficient de l’être-projeté du pouvoir-être. L’existence peut être digne de question. Pour que son « être-en-question » soit possible il est besoin d’une ouverture. À la base du se-comprendre projetant dans une possibilité existentielle se tient l’avenir en tant qu’advenir-à-soi à partir de la possibilité comme laquelle le Dasein existe à chaque fois. L’avenir rend ontologiquement possible un étant qui est de telle manière qu’il existe, en comprenant, dans son pouvoir-être. Le projeter, qui est en son fond a-venant, ne saisit pas primairement la possibilité projetée de manière thématique dans une visée, mais il se jette en elle comme possibilité. En comprenant, le Dasein est à chaque fois comme il peut être. Or c’est la résolution qui s’est révélée comme l’exister originaire et authentique. Bien sûr, de prime abord et le plus souvent, le Dasein demeure ir-résolu, autrement dit refermé en son pouvoir-être le plus propre, vers lequel il ne se porte à chaque fois que dans l’isolement. Ce qui implique ceci : la temporalité ne se temporalise pas constamment à partir de l’avenir authentique. Néanmoins cette in-constance ne signifie point que la temporalité manquerait parfois d’avenir, mais seulement que la temporalisation de celui-ci est muable.

Pour caractériser terminologiquement l’avenir authentique, nous maintenons l’expres-sion devancement. Elle indique que le Dasein, existant authentiquement, se laisse ad-venir à soi en tant que pouvoir-être le plus propre, autrement dit que l’avenir doit lui-même le [337] premier se gagner, et cela non pas à partir d’un présent, mais à partir de l’avenir inauthentique. Le terme formellement indifférent pour l’avenir nous avait servi à désigner le premier moment structurel du souci, c’était le en-avant-de-soi. Le Dasein, facticement, est constamment en-avant-de-soi, mais il est in-constamment devançant quant à la possibilité existentielle.

Comment dissocier maintenant de l’avenir authentique l’avenir inauthentique ? Tout comme celui-là ne peut se dévoiler que dans la résolution, ce mode ekstatique ne peut se dévoiler que dans un retour ontologique depuis le comprendre inauthentique, quotidiennement préoccupé, jusqu’à son sens temporalo-existential. En tant que souci, le Dasein est essentiellement en-avant-de-soi. De prime abord et le plus souvent, l’être-au-monde préoccupé se comprend à partir de ce dont il se préoccupe. Le comprendre inauthentique se projette vers ce qui, dans les affaires de l’activité quotidienne, est pourvoyable, faisable, urgent, indispensable. Mais ce dont on se préoccupe n’est comme il est qu’en-vue du pouvoir-être soucieux. Celui-ci laisse le Dasein, dans son être préoccupé auprès de ce dont il se préoccupe, ad-venir à soi. Le Dasein n’ad-vient pas primairement à soi dans son pouvoir-être le plus propre, absolu, mais, se préoccupant, il est attentif [2] à soi à partir de ce qu’offre ou refuse ce dont il se préoccupe. C’est à partir de celui-ci que le Dasein ad-vient à soi. L’avenir inauthentique a le caractère du s’attendre [3]. C’est dans ce mode ekstatique de l’avenir que le se-comprendre préoccupé du On-même à partir de ce que l’on fait a le « fondement » de sa possibilité. Et c’est seulement parce que le Dasein factice est ainsi attentif à son pouvoir-être à partir de ce dont il se préoccupe, qu’il peut l’attendre et attendre ceci ou cela. Le s’attendre doit déjà à chaque fois avoir ouvert l’horizon   et l’orbe à partir duquel quelque chose peut être attendu. L’attendre est un mode dérivé, fondé dans le s’attendre, de l’avenir, qui se temporalise authentiquement comme devancement. C’est pourquoi il y a dans le devancement un être pour la mort plus originaire que dans l’attente préoccupée de celle-ci.

Le comprendre, en tant qu’exister dans le pouvoir-être projeté d’une façon ou d’une autre, est primairement a-venant. Mais il ne se temporaliserait pas s’il n’était temporel, c’est-à-dire déterminé cooriginairement par l’être-été et le présent. La manière dont la dernière ekstase   citée co-constitue le comprendre inauthentique a déjà été grossièrement dégagée. La préoccupation quotidienne se comprend à partir du pouvoir-être qui vient au devant d’elle à partir du succès ou de l’insuccès possible concernant ce dont elle se préoccupe à chaque fois. À l’avenir inauthentique, au s’attendre, correspond un être propre auprès de ce dont on se préoccupe. Le mode ekstatique de cet être présent à… se dévoile si nous lui comparons la [338] même extase considérée selon le mode de la temporalité authentique. Au devancement de la résolution appartient un présent conformément auquel une décision ouvre la situation  . Dans la résolution, le présent n’est pas seulement ramené de la dispersion dans ce dont on se préoccupe de prime abord, mais encore il est tenu dans l’avenir et l’être-été. Le présent tenu dans la temporalité authentique, donc authentique, nous le nommons l’instant. Ce terme doit être pris au sens actif, en tant qu’ekstase. Il désigne l’échappée résolue, mais tenue dans la résolution, du Dasein vers ce qui lui fait encontre dans sa situation en fait de possibilités ou de circonstances de préoccupation. Il est fondamentalement impossible d’éclaircir le phénomène de l’instant à partir du maintenant. Le maintenant est un phénomène temporel qui appartient au temps comme intratemporalité : le maintenant « où » quelque chose naît, passe ou est sous-la-main. « Dans l’instant », rien ne peut survenir, mais, en tant qu’être présent à… authentique, il laisse pour la première fois faire encontre ce qui peut être « en un temps » en tant qu’à-portée-de-la-main au sous-la-main [4].

À la différence de l’instant comme présent authentique, nous appelons le présent inauthentique le présentifier. Formellement compris, tout présent est présentifiant, mais non pas « instantané ». Lorsque nous utilisons absolument l’expression « présentifier », c’est toujours le présentifier inauthentique, sans instant et ir-résolu qui est visé par là. C’est seulement à partir de l’interprétation temporelle de l’échéance sur le « monde » de la préoccupation que le présentifier se dégagera plus clairement, puisque c’est en lui qu’elle trouve son sens existential. Mais pour autant que le comprendre inauthentique projette le pouvoir-être à partir de ce dont on peut se préoccuper, cela revient à dire qu’il se temporalise à partir du présentifier. L’instant, tout au contraire, se temporalise inversement à partir de l’avenir authentique.

Le comprendre inauthentique se temporalise comme ce s’attendre présentifiant à l’unité [339] ekstatique duquel doit nécessairement appartenir un être-été correspondant. L’ad-venir à soi authentique de la résolution devançante est en même temps un re-venir au Soi-même le plus propre, jeté dans son isolement. C’est cette ekstase qui rend possible que le Dasein, en se résolvant, assume l’étant qu’il est déjà. Dans le devancement, le Dasein se ramène et se reconduit devant le pouvoir-être le plus propre. Nous appelons l’être-été authentique la répétition. Mais le se-projeter inauthentique vers les possibilités puisées dans l’objet de préoccupation tandis que celui-ci est présentifié n’est possible qu’autant que le Dasein s’est oublié en son pouvoir-être jeté le plus propre. Un tel oubli n’est pas rien, ni seulement le défaut du souvenir, mais un mode ekstatique propre, « positif » de l’être-été. L’ekstase (échappée) de l’oubli a le caractère d’un désengagement fermé à soi-même devant l’«été » le plus propre, de telle sorte que ce désengagement devant… referme ekstatiquement le devant-quoi et, avec lui, soi-même. L’oubli comme être-été inauthentique se rapporte ainsi à l’être jeté et propre ; il est le sens temporel du mode d’être conformément auquel je suis été de prime abord et le plus souvent. Et c’est seulement sur la base de cet oubli que le présentifier qui se préoccupe et s’attend peut conserver - à savoir conserver l’étant qui n’est pas à la mesure du Dasein, mais fait encontre dans le monde ambiant. À ce conserver correspond une non-conservation, qui représente un « oubli » au sens dérivé.

De même que l’attente n’est possible que sur la base d’un s’attendre, de même le souvenir n’est possible que sur la base d’un oublier, et non pas l’inverse ; car c’est sur le mode de l’oubli que l’être-été « ouvre » primairement l’horizon où, en s’y engageant, le Dasein perdu dans l’« extériorité » de ce dont il se préoccupe peut se ressouvenir. Le s’attendre oublieux-présentifiant est une unité ekstatique propre, conformément à laquelle le comprendre inauthentique se temporalise quant à sa temporalité. L’unité de ces ekstases referme le pouvoir-être authentique et elle est ainsi la condition existentiale de possibilité de l’ir-résolution. Bien que le comprendre inauthentique, préoccupé, se détermine à partir du présentifier de ce dont il se préoccupe, la temporalisation du comprendre ne s’en accomplit pas moins primairement dans l’avenir.

b) de l’affection

b) La temporalité de l’affection [5].

Le comprendre ne flotte jamais en l’air, mais est toujours affecté. Le Là est à chaque fois cooriginairement ouvert (ou refermé) par de la tonalité. L’être-intoné transporte le Dasein [340] devant son être-jeté, et cela de telle manière que celui-ci n’est pas connu comme tel, mais ouvert bien plus originairement sous la forme du « où l’on en est ». L’être-jeté veut dire existentialement : se trouver ainsi ou ainsi. Par suite, l’affection se fonde dans l’être-jeté. La tonalité représente la guise en laquelle je suis à chaque fois primairement l’étant jeté. Comment la constitution temporelle de l’être-intoné peut-elle se manifester ? Comment, à partir de l’unité ekstatique de la temporalité, la connexion existentiale entre affection et comprendre peut-elle se laisser apercevoir ?

La tonalité ouvre selon la guise d’une conversion et d’un détournement du Dasein propre. Transporter devant le « que » de l’être-jeté propre - en le dévoilant authentiquement ou en le recouvrant inauthentiquement -, cela n’est possible existentialement que si l’être du Dasein, de par son sens propre, est constamment été. Ce n’est pas le transport devant l’étant jeté que l’on est en tant que On-même qui crée l’être-été, mais l’ekstase de celui-ci qui rend possible de se trouver selon la guise du se-trouver. Le comprendre se fonde primairement dans l’avenir, l’affection, au contraire, se temporalise primairement dans l’être-été. La tonalité se temporalise, autrement dit son ekstase spécifique appartient à un avenir et à un présent, mais de telle manière que c’est l’être-été qui modifie les ekstases cooriginaires.

Nous l’avions souligné : les tonalités sont certes ontiquement bien connues, mais elles ne sont pas pour autant connues dans leur fonction existentiale originaire. Elles passent pour des vécus fugitifs qui « colorent » le tout des « états psychiques ». Mais ce qui, aux yeux d’une observation, présente le caractère de l’apparaître et du disparaître passager appartient en réalité à la constance originaire de l’existence. Certes, dira-t-on, mais qu’est-ce que des tonalités peuvent avoir à faire avec le « temps » ? Que ces « vécus » surgissent et s’en aillent, qu’ils se déroulent « dans le temps », c’est là une constatation triviale, assurément, et même ontico-psychologique. La tâche est pourtant de mettre en lumière la structure ontologique de l’être-intoné dans sa constitution temporalo-existentiale, ce qui, de prime abord, ne peut revenir qu’à rendre pour une fois en général visible la temporalité de la tonalité. La thèse : « l’affection se fonde primairement dans l’être-été » signifie : le caractère existential fondamental de la tonalité est un re-porter vers… Celui-ci ne produit pas tout d’abord l’être-été, mais c’est l’affection qui, à chaque fois, manifeste à l’analyse existentiale un mode de l’être-été. Par suite, l’interprétation temporelle de l’affection ne peut avoir pour intention   de déduire les tonalités de la temporalité et de les dissoudre en purs phénomènes de temporalisation. Ce qui s’impose tout simplement, c’est de mettre en évidence que les [341] tonalités, envisagées en ce qu’elles « signifient » - et comment elles le « signifient » - existentiellement, ne sont pas possibles sinon sur la base de la temporalité. Notre interprétation temporelle se limitera ici aux phénomènes, déjà analysés de manière préparatoire, de la peur et de l’angoisse.

Commençons l’analyse par la mise en lumière de la temporalité de la peur [6]. Elle a été caractérisée comme une affection inauthentique. Or dans quelle mesure le sens existential qui la rend possible est-il l’être-été ? Quelle modalité de cette ekstase caractérise-t-elle la temporalité spécifique de la peur ? Celle-ci est un prendre-peur devant un redoutable qui, importun pour le pouvoir-être factice du Dasein, fait approche - selon la guise qu’on a décrite - dans l’orbe de l’à-portée-de-la-main dont il se préoccupe et du sous-la-main. Le prendre-peur ouvre, selon la guise de la circon-spection quotidienne, une menace. Un sujet purement intuitionnant serait incapable de découvrir quelque chose de tel. Mais cet ouvrir propre au prendre-peur devant… n’est-il pas un laisser-ad-venir-à-soi ? N’a-t-on pas pu déterminer à bon droit la peur comme l’attente d’un mal à venir (malum futurum  ) ? Le sens temporel primaire de la peur n’est-il pas l’avenir - et rien moins que l’être-été ? Incontestablement, le prendre-peur ne se « rapporte » pas seulement à « de l’avenir » si l’on prend ce mot au sens de ce qui ne fait qu’advenir « dans le temps », mais ce se-rapporter lui-même est a-venant dans un sens temporel originaire. Manifestement, un s’attendre appartient conjointement à la constitution temporalo-existentiale de la peur. Mais cela signifie d’abord tout au plus que la temporalité de la peur est une temporalité inauthentique. Le prendre-peur devant… n’est-il que l’attente d’une menace qui vient ? Mais l’attente d’une menace qui vient n’a pas besoin d’être déjà de la peur, et elle l’est si peu que le caractère tonal spécifique de la peur lui fait précisément défaut. Car ce caractère consiste en ce que le s’attendre de la peur laisse le menaçant re-venir vers le pouvoir-être facticement préoccupé. Or je ne puis m’attendre au menaçant comme revenant vers l’étant que je suis, autrement dit le Dasein ne peut être menacé que si le vers-quoi de ce retour vers… est déjà en général ekstatiquement ouvert. Que le s’attendre apeuré prenne-peur pour « soi », autrement dit que le prendre-peur de… soit toujours un prendre-peur pour…, cela implique le caractère de tonalité et d’affect de la peur. Son sens temporalo-existential est constitué par un s’oublier : le désengagement égaré devant le pouvoir-être factice propre en lequel l’être-au-monde menacé se préoccupe de [342] l’à-portée-de-la-main. Aristote   détermine à juste titre la peur comme lupe tis he tarake, comme un être-oppressé ou un égarement [7]. L’être-oppressé ramène de force le Dasein à son être-jeté, mais de telle manière que celui-ci soit précisément refermé. L’égarement se fonde dans un oubli. Le désengagement oublieux devant un pouvoir-être factice, résolu, s’en tient aux possibilités de salut et d’esquive qui, préalablement, ont déjà été découvertes par la circon-spection. La préoccupation qui prend-peur, parce qu’elle s’oublie et ainsi ne s’empare d’aucune possibilité déterminée, saute du prochain au prochain. Toutes les possibilités « possibles », donc aussi impossibles, s’offrent. Celui qui prend-peur ne se tient à aucune d’elles, le « monde ambiant » ne disparaît pas, mais il fait encontre de telle sorte que l’on ne s’y reconnaît plus. Au s’oublier de la peur appartient ce présentifier égaré du plus proche quelconque. Il est bien connu, par exemple, que les habitants d’une maison en flammes « sauvent » souvent les choses les plus indifférentes, ce qui est immédiatement à-portée-de-leur-main. La présentification oublieuse de soi d’un fouillis de possibilités flottantes rend possible l’égarement qui constitue le caractère de tonalité de la peur. L’oubli de l’égarement modifie aussi le s’attendre, et le caractérise comme ce s’attendre oppressé ou égaré qui se distingue d’une attente pure.

L’unité ekstatique spécifique qui possibilise existentialement le prendre-peur-(pour-soi) se temporalise primairement à partir de l’oubli que nous avons caractérisé, et qui, en tant que mode de l’être-été, modifie le présent et l’avenir corrélatifs en leur temporalisation. La temporalité de la peur est un oubli attentif-présentifiant. De prime abord, l’explicitation entendue de la peur, conformément à son orientation sur ce qui fait encontre à l’intérieur du monde, cherche à identifier le devant-quoi de la peur à un « mal futur », et, conformément à celui-ci, à déterminer la relation à lui comme attente. Quant à ce qui appartient de surcroît au phénomène, on y voit un simple « sentiment de plaisir et de peine ».

Mais comment la temporalité de l’angoisse se rapporte-t-elle à celle de la peur ? Nous avons appelé l’angoisse une affection fondamentale [8]. Elle transporte le Dasein devant son être-jeté le plus propre et dévoile l’étrang(èr)eté de l’être-au-monde quotidiennement familiarisé. Cela dit, l’angoisse est formellement déterminée, tout comme la peur, par un devant-quoi du s’angoisser et par un pour-quoi. Néanmoins, l’analyse a montré que ces deux [343] phénomènes coïncident dans l’angoisse. Ce qui ne doit pas signifier que les caractères structurels du devant-quoi et du pour-quoi seraient confondus, comme si l’angoisse ne s’angoissait ni devant…, ni pour… Que le devant-quoi et le pour-quoi coïncident, cela veut dire que l’étant qui les remplit est le même, à savoir le Dasein. En particulier, le devant-quoi de l’angoisse ne fait pas encontre comme un sujet déterminé de préoccupation, la menace ne vient pas de l’étant à-portée-de-la-main et sous-la-main, mais bien plutôt justement de ce que tout étant à-portée-de- et sous-la-main ne nous « dit » absolument plus rien. Avec l’étant du monde ambiant, il ne retourne plus de rien. Le monde où j’existe a sombré dans la non-significativité, et le monde ainsi ouvert ne peut libérer de l’étant que sous la figure de la non-tournure. Le rien du monde, devant lequel l’angoisse s’angoisse, ne signifie pas que soit expérimentée dans l’angoisse (par exemple) une absence du sous-la-main intramondain. Celui-ci, au contraire, doit justement faire encontre pour qu’il ne puisse même pas retourner de… avec lui et qu’il puisse se montrer dans un vide impitoyable. Or cela implique que le s’attendre préoccupé ne trouve rien à partir de quoi il pourrait se comprendre, qu’il mord sur le rien du monde ; toutefois, le comprendre, butant sur le monde, est transporté par l’angoisse vers l’être-au-monde comme tel, ce devant-quoi de l’angoisse étant cependant en même temps son pour-quoi. Le s’angoisser devant… n’a ni le caractère d’une attente ni en général celui d’un s’attendre à… Le devant-quoi de l’angoisse est bel et bien déjà « là », étant le Dasein lui-même. Mais alors, l’angoisse n’est-elle pas constituée par un avenir ? Assurément, mais non pas par l’avenir inauthentique du s’attendre à…

L’in-signifiance du monde ouverte dans l’angoisse dévoile la nullité de l’étant de la préoccupation, c’est-à-dire l’impossibilité de se projeter vers un pouvoir-être de l’existence qui serait primairement fondé en lui. Mais le dévoilement de cette impossibilité laisse en même temps luire la possibilité d’un pouvoir-être authentique. Or quel sens temporel ce dévoilement a-t-il ? L’angoisse s’angoisse pour le Dasein nu, en tant que jeté dans l’étrang(èr)eté. Elle reporte au pur « que » de l’être-jeté isolé le plus propre. Ce re-port ne présente pas le caractère d’un oubli qui esquive, mais pas non plus celui d’un souvenir. D’autre part, l’angoisse inclut tout aussi peu déjà une assomption répétitrice de l’existence dans la décision. En revanche, l’angoisse re-porte à l’être-jeté comme être-jeté répétable possible. Et de ce fait, elle dévoile conjointement la possibilité d’un pouvoir-être authentique qui, dans la répétition, doit revenir en tant qu’ad-venant vers le Là jeté. Transporter devant la répétabilité, telle est la modalité ekstatique spécifique de l’être-été qui constitue l’affection de l’angoisse.

L’oubli constitutif de la peur égare, et il laisse le Dasein aller et venir entre des [344] possibilités « mondaines » non saisies. À l’opposé de ce présentifier sans retenue, le présent de l’angoisse est tenu dans le se-re-porter vers l’être-jeté le plus propre. L’angoisse, selon son sens existential, ne peut pas se perdre dans un étant offert à la préoccupation. Que quelque chose de tel se produise dans une affection semblable à elle, et alors c’est la peur, que l’entendement quotidien confond avec l’angoisse. Mais quoique le présent de l’angoisse soit tenu, il n’a pourtant pas encore le caractère de l’instant qui se temporalise dans la décision. L’angoisse transporte seulement dans la tonalité d’une décision possible. Son présent tient en suspens cet instant comme lequel elle-même - et elle seulement - est possible.

De la temporalité spécifique de l’angoisse, qui se fonde donc originairement dans l’être-été de telle sorte que son avenir et son présent ne se temporalisent qu’à partir de lui, se dégage la possibilité de la puissance caractéristique de la tonalité de l’angoisse. En elle, le Dasein est complètement repris en son étrang(èr)eté nue, et pris par celle-ci. Néanmoins, cette captation ne re-prend pas seulement le Dasein aux possibilités « mondaines », mais elle lui donne en même temps la possibilité d’un pouvoir-être authentique.

Cependant, l’une et l’autre tonalités, la peur et l’angoisse, ne « surviennent » jamais isolément dans un « courant de vécus », mais elles in-tonent, et ainsi déterminent, à chaque fois un comprendre - ou se déterminent à partir de lui. La peur a son occasion dans l’étant offert dans le monde ambiant à la préoccupation. L’angoisse, au contraire, jaillit du Dasein même. La peur assaille à partir de l’intramondain. L’angoisse s’élève à partir de l’être-au-monde comme être pour la mort jeté. Comprise temporellement, cette « montée » de l’angoisse signifie ceci : l’avenir et le présent de l’angoisse se temporalisent à partir d’un être-été originaire au sens du re-porter vers la répétabilité. Mais à proprement parler, l’angoisse ne peut monter que dans un Dasein résolu. Celui qui est résolu ne connaît aucune peur, mais il comprend justement la possibilité de l’angoisse comme de cette tonalité qui ne l’inhibe ni ne l’égare. Elle libère de possibilités « nulles » et laisse devenir libre pour des possibilités authentiques.

Bien que ces deux modes de l’affection, peur et angoisse, se fondent primairement dans un être-été, leur origine respective, considérée par rapport à leur temporalisation à chaque fois propre au sein   de la totalité du souci, est différente. L’angoisse naît de l’avenir de la [345] résolution, la peur naît du présent perdu, dont la peur prend timidement peur pour y succomber d’autant plus décidément.

Mais cette thèse de la temporalité des tonalités, demandera-t-on, ne vaut-elle pas peut-être seulement des phénomènes que nous avons choisi d’analyser ? Comment, dans l’a-tonie blafarde qui règne dans la « grisaille quotidienne », pourrait-on découvrir un sens temporel ? Et qu’en est-il de la temporalité de tonalités et d’affects comme l’espoir, la joie, l’enthousiasme, la sérénité radieuse ? Que non seulement la peur et l’angoisse, mais encore d’autres tonalités se fondent existentialement dans un être-été, c’est ce qui apparaît si l’on évoque simplement des phénomènes comme le dégoût, la tristesse, la mélancolie, le désespoir. Leur interprétation, du reste, doit être située sur la base élargie d’une analytique existentiale élaborée du Dasein. Cependant, même un phénomène comme l’espoir, qui semble être entièrement fondé dans l’avenir, doit être analysé de manière analogue à la peur. On a pu caractériser l’espoir, à la différence de la peur, qui se rapporte à un malum futurum, comme l’attente d’un bonum   futurum. Cependant, ce qui est décisif pour la structure du phénomène, ce n’est pas tant le caractère « avenant » de ce à quoi l’espoir se rapporte que bien plutôt le sens existential de l’espérer lui-même. Ici aussi, son caractère de tonalité réside en ce qu’il est espérer-pour-soi. Celui qui espère s’emporte pour ainsi dire lui-même dans l’espoir, il se confronte à ce qu’il espère. Or cela suppose qu’il se soit gagné. Que l’espoir, par opposition à l’anxiété oppressante, soulage, cela indique simplement que cette affection demeure elle aussi rapportée à la charge sur le mode de l’être-été. Une tonalité exaltée, ou mieux exaltante, n’est possible ontologiquement qu’en un rapport temporalo-ekstatique du Dasein au fondement jeté de lui-même.

L’a-tonie blafarde de l’indifférence, enfin, qui n’est attachée à rien, ne se presse vers rien et s’en remet à ce que chaque jour apporte, non sans alors emporter cependant d’une certaine manière toutes choses, illustre de la manière la plus frappante la puissance de l’oubli dans les tonalités quotidiennes de la préoccupation prochaine. Le « se laisser vivre » qui « laisse » également tout « être » comme il est, se fonde dans une remise oublieuse de soi à l’être-jeté. Il a le sens ekstatique d’un être-été inauthentique. L’indifférence, qui est tout à fait compatible avec un débordement d’activité, doit être nettement séparée de l’équanimité. Car cette tonalité provient de la résolution, qui est instantanée envers les situations possibles du pouvoir-être-tout ouvert dans le devancement vers la mort. [346] Seul peut être affecté un étant qui, selon son sens d’être, se-trouve, autrement dit qui, existant, a (est) déjà à chaque fois été et existe selon un mode constant de l’être-été.

L’affection présuppose ontologiquement le présentifier, et cela de telle manière qu’en lui le Dasein peut être re-porté vers soi en tant qu’ayant-été. Comment l’excitation et l’impression des sens, chez un être sans plus vivant, doivent être ontologiquement délimitées, comment et où en général l’être des animaux, par exemple, est constitué par un « temps », ce sont là des problèmes qui demeurent.

c) de l’échéance

c) La temporalité de l’échéance [9].

L’analyse temporelle du comprendre et de l’affection n’a pas simplement rencontré une ekstase primaire pour le phénomène à chaque fois considéré, mais toujours et en même temps la temporalité totale. Or de même que c’est l’avenir qui possibilise primairement le comprendre, et l’être-été la tonalité, de même le troisième moment constitutif du souci, l’échéance a son sens existential dans le présent. Notre analyse préparatoire de l’échéance avait commencé par une interprétation du bavardage, de la curiosité et de l’équivoque [10]: l’analyse temporelle de l’échéance se doit de suivre le même chemin. Néanmoins, nous restreindrons notre recherche à une considération de la curiosité, parce que c’est en elle que la temporalité spécifique de l’échéance se laisse le plus aisément discerner. L’analyse du bavardage et de l’équivoque, au contraire, présuppose que l’on ait au préalable clarifié la constitution temporelle du parler et de l’expliciter.

La curiosité est une tendance d’être privilégiée du Dasein, conformément à laquelle il se préoccupe d’un pouvoir-voir [11]. « Voir » n’est pas ici restreint, pas plus que le concept de vue, au percevoir par les « yeux du corps ». L’accueillir, pris au sens large, laisse l’à-portée-de-la-main et le sous-la-main faire encontre en lui-même « en chair et en os » du point de vue de son a-spect. Ce laisser-faire-encontre se fonde dans un présent. Celui-ci donne en général l’horizon ekstatique à l’intérieur duquel de l’étant peut être présent en chair et en os. Si la curiosité, cependant, présentifie le sous-la-main, ce n’est pas pour le comprendre en séjournant auprès de lui, mais c’est en cherchant à voir seulement pour voir et pour avoir vu. Sous la figure de cette présentification prise à ses propres rets, la curiosité se tient dans une unité ekstatique avec un avenir et un être-été correspondants. L’avidité de nouveauté est sans doute une percée vers un non-encore-vu, mais de telle manière que le présentifier cherche à se [347] soustraire au s’attendre à… Si la curiosité est avenante, c’est de façon absolument inauthentique, et, si elle est telle, ce n’est pas non plus en s’attendant à une possibilité, mais en ne désirant déjà plus celle-ci, en son avidité, que comme quelque chose d’effectif. La curiosité est constituée par un présentifier sans retenue, qui, purement présentifiant, cherche ainsi constamment à se dérober au s’attendre à… où il est tout de même « tenu » sans retenue. Le présent « ré-sulte » du s’attendre à… correspondant au sens accentué d’un échapper à… Mais ce présentifier « ré-sultant » de la curiosité est si peu adonné à la « chose » qu’à peine une vue obtenue sur elle, il s’en détourne au profit de l’autre chose la plus proche. Ce présentifier qui « résulte » ainsi constamment du s’attendre à… une possibilité déterminée saisie rend ontologiquement possible le non-séjour qui caractérise la curiosité. Le présentifier ne « ré-sulte » pas du s’attendre à… en ce sens qu’il s’en détacherait pour ainsi dire ontiquement et le laisserait à lui-même. Le « ré-sulter » est une modification ekstatique du s’attendre à…, mais de telle manière que celui-ci sautille derrière le présentifier. Le s’attendre à… se sacrifie pour ainsi dire lui-même, et il ne laisse plus non plus des possibilités inauthentiques de préoccupation ad-venir vers soi à partir de l’étant dont il se préoccupe, à moins qu’il ne s’agisse de possibilités offertes à un présentifier sans retenue. La modification ekstatique du s’attendre à… par le présentifier ré-sultant en un présentifier sautillant est la condition temporalo-existentiale de possibilité de la distraction.

Sous l’effet du s’attendre à… sautillant, le présentifier est de plus en plus remis à lui-même. Il présentifie pour le présent. Se prenant ainsi dans ses propres rets, l’instabilité distraite devient agitation. Ce mode du présent est le contre-phénomène extrême de l’instant. En celle-là, le Dasein est partout et nulle part ; celui-ci transporte l’existence dans la situation et ouvre le « Là » authentique.

Plus le présent est inauthentique, c’est-à-dire plus le présentifier vient vers lui-« même », et plus il fuit, en le refermant, devant un pouvoir-être déterminé - mais moins l’avenir peut alors revenir vers l’étant jeté. Dans le « ré-sulter » du présent, il y a en même temps un oubli croissant. Que la curiosité se tienne toujours déjà auprès de ce qui est prochain et ait oublié l’avant, ce n’est pas là un résultat qui se dégagerait seulement de la curiosité, mais bien la condition ontologique de celle-ci même.

Les caractères de l’échéance qui ont été mis au jour : tentation, rassurement, [348] extranéation et auto-captation, signifient, quant à leur sens temporel, que le présentifier « ré-sultant », conformément à sa tendance ekstatique, cherche à se temporaliser à partir de lui-même. Le Dasein se prend à ses rets - cette détermination a un sens ekstatique. L’échappée de l’existence au sein du présentifier ne signifie assurément pas que le Dasein se délie de son Moi et de son Soi-même. Même dans le présentifier le plus extrême, il demeure temporel, c’est-à-dire s’attendant, oubliant. Même en présentifiant, le Dasein se comprend encore, quand bien même il est extranéé de son pouvoir-être le plus propre, qui se fonde primairement dans l’avenir et l’être-été authentiques. Mais dans la mesure où le présentifier offre du toujours « nouveau », il ne laisse pas le Dasein revenir vers soi, et le rassure constamment de nouveau. Mais ce rassurement renforce derechef la tendance au ré-sulter. Ce qui « produit » la curiosité, ce n’est point l’immensité sans fin de ce qui n’est pas encore vu, mais bien le mode échéant de temporalisation du présent ré-sultant. Même lorsqu’on a tout vu, la curiosité invente justement encore du nouveau.

Le mode de temporalisation du « ré-sulter » du présent se fonde dans l’essence de la temporalité, qui est finie. Jeté dans l’être pour la mort, le Dasein fuit de prime abord et le plus souvent devant cet être-jeté dévoilé de manière plus ou moins expresse. Le présent ré-sulte de son avenir et de son être-été authentiques, pour ne faire advenir le Dasein à l’existence authentique qu’au prix d’un détour par soi. L’origine du « ré-sulter » du présent, c’est-à-dire de l’échéance dans la perte, est la temporalité originaire, authentique elle-même, qui rend possible l’être jeté pour la mort.

L’être-jeté, devant lequel le Dasein peut certes être transporté authentiquement pour se comprendre authentiquement en lui, lui demeure néanmoins refermé quant à son « d’où » et son « comment » ontiques. Mais ce refermement n’est nullement une simple ignorance subsistant factuellement, mais elle constitue la facticité du Dasein. Elle détermine conjointement le caractère ekstatique de la remise de l’existence au fondement nul d’elle-même.

De prime abord, le jet de l’être-jeté dans le monde n’est pas ressaisi par le Dasein ; la « mobilité » qui lui est propre ne vient pas à la « stabilité » du simple fait que le Dasein « est » désormais « là ». Le Dasein est lui-même entraîné dans l’être-jeté, autrement dit, en tant que jeté dans le monde, il se perd dans le « monde » conformément à son assignation factice à ce dont il a à se préoccuper. Le présent, qui constitue le sens existential de l’être-entraîné, ne conquiert jamais par lui-même un autre horizon ekstatique, à moins qu’il ne soit [349] ramené de sa perte par la décision, afin d’ouvrir, en tant qu’instant tenu, chaque situation, et, conjointement, la « situation limite » originaire de l’être pour la mort.

d) du parler

d) La temporalité du parler [12].

L’ouverture pleine - constituée par le comprendre, l’affection et l’échéance - du Là reçoit du parler son articulation. Aussi, le parler ne se temporalise pas primairement à partir d’une ekstase déterminée. Néanmoins, comme le parler s’ex-prime le plus souvent facticement dans la parole et parle de prime abord selon la guise de l’advocation préoccupée-discutante du « monde ambiant », le présentifier n’en possède pas moins ici une fonction constitutive privilégiée.

Les temps (« grammaticaux »), tout comme les autres phénomènes temporels de la parole, « modes d’action » et « degrés temporels » ne proviennent pas du fait que le parler s’ex-prime « aussi » sur des processus   « temporels », c’est-à-dire rencontrés « dans le temps ». Pas davantage n’ont-il pour fondement le fait que le parler effectif se déroule « dans un temps psychique ». Le parler est en lui-même temporel, pour autant que tout parler sur…, de…, et à… se fonde dans l’unité ekstatique de la temporalité. Les modes d’action sont enracinés dans la temporalité originaire de la préoccupation, que celle-ci se rapporte ou non à de l’intratemporel. À l’aide du concept vulgaire et traditionnel du temps, auquel la linguistique est bien forcée d’avoir recours, il n’est même pas possible de poser le problème de la structure temporalo-existentiale des modes d’action [13]. Mais comme le parler est à chaque fois discussion d’un étant, même si ce n’est pas de manière primaire et prépondérante au sens de l’énoncer théorique, l’analyse de la constitution temporelle du parler et l’explication des caractères temporels des configurations linguistiques ne peut être entreprise que si le problème de la connexion fondamentale entre être et vérité est déployé à partir de la problématique de la temporalité. C’est alors qu’il devient également possible de délimiter le sens ontologique du « est » qu’une théorie extérieure de la proposition et du jugement a défiguré en « copule ». C’est seulement à partir de la temporalité du parler, c’est-à-dire du Dasein en général que la « formation » de la « signification » peut être éclaircie et la possibilité d’une formation de concept rendue ontologiquement intelligible.

Le comprendre se fonde primairement dans l’avenir (devancement du s’attendre à…). [350] L’affection se fonde primairement dans l’être-été (répétition ou oubli). L’échéance est avant tout temporellement enracinée dans le présent (présentification ou instant). Néanmoins, le comprendre est à chaque fois présent « étant-été » ; néanmoins, l’affection se temporalise comme avenir « présentifiant » ; néanmoins le présent « ré-sulte » de, ou est tenu par un avenir étant-été. Bref, la temporalité se temporalise dans chaque ekstase de manière totale, c’est-à-dire que c’est dans l’unité ekstatique de la temporalisation à chaque fois pleine de la temporalité que se fonde la totalité du tout structurel de l’existence, de la facticité et de l’échéance, autrement dit l’unité de la structure du souci.

La temporalisation ne signifie pas une « succession » des ekstases. L’avenir n’est pas postérieur à l’être-été, et celui-ci n’est pas antérieur au présent. La temporalité se temporalise comme avenir-étant-été-présentifiant.

L’ouverture du Là et les possibilités existentielles fondamentales du Dasein, authenticité et inauthenticité, sont fondées dans la temporalité. Mais l’ouverture concerne toujours cooriginairement l’être-au-monde plein, l’être-à aussi bien que le monde. Par suite, à partir d’une orientation sur la constitution temporelle de l’ouverture, il doit être également possible de mettre en lumière la condition ontologique de possibilité permettant à l’étant qui existe comme être-au-monde de pouvoir être.


Ver online : Sein und Zeit (1927), ed. Friedrich-Wilhelm von Herrmann, 1977, XIV, 586p. Revised 2018 [GA2]


[1Cf. supra, §31, p. [142] sq.

[2NT: gewärtig (premier emploi) voir l’index s.v.

[3NT: Voir également l’index, s.v. Gewärtigen.

[4C’est sans doute S. KIERKEGAARD qui a discerné avec le plus de pénétration le phénomène existentiel de l’instant, ce qui ne signifie point qu’il soit pour autant parvenu à en donner au même degré une interprétation existentiale. Kierkegaard, en effet, reste attaché au concept vulgaire du temps et détermine l’instant à l’aide du maintenant et de l’éternité. Lorsqu’il pare de « temporalité », il a en vue l’« être-dans-le-temps » de l’homme. Or le temps comme intratemporalité connaît uniquement le maintenant, jamais un instant. Mais que celui-ci soit existentiellement expérimenté, et alors une temporalité plus originaire est nécessairement présupposée - même si ce présupposé demeure existentialement tacite. Au sujet de l’« instant », v. aussi K. JASPERS, Psychologie der Weltanschauungen, éd. citée, p. 108 sq., et aussi p. 419-432, sur le « dossier Kierkegaard ».

[5Cf. supra, §29, p. [134] sq.

[6Cf. supra, §30, p.[140] sq.

[7Cf. Rhet. B 5, 1382 a 21.

[8Cf. supra, §40, p. [184] sq.

[9Cf. supra, §38, p. [175] sq.

[10Cf. supra, §§35 sq., p. [167] sq.

[11Cf. supra, §36, p. [170] sq.

[12Cf. supra, §31, p. [160].

[13Cf. entre autres Jakob WACKERNAGEL, Vorlesungen über Syntax [Leçons sur la syntaxe], t. I, 1920, p. 15, et notamment p. 149-210. Et aussi G. HERBIG, « Aktionsart und Zeitstufe » [« Mode d’action et degré temporel »] dans Indogermanische Forschung, t. VI, 1896, p. 167 sq.