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Sein und Zeit

Être et temps : § 20. Les fondements de la détermination ontologique du « monde ».

Ser e Tempo

domingo 10 de julho de 2011, por Cardoso de Castro

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MARTIN HEIDEGGER, Être et temps, traduction par Emmanuel Martineau  . ÉDITION NUMÉRIQUE HORS-COMMERCE

HEIDEGGER, Martin. L’Être et le temps. Tr. Jacques Auxenfants  . (ebook-pdf)

L’idée de l’être à laquelle reconduit cette caractérisation ontologique de la res extensa   est la substantialité. « Per substantiam nihil   aliud intelligere possumus, quam rem quae ita existit, ut nulla alla te indigeat ad existendum » : « par substance, nous ne pouvons rien comprendre d’autre qu’un étant qui est ainsi que, pour être, il n’a besoin d’aucun autre étant » [1]. L’être d’une « substance » est caractérisé par une absence de besoin. Ce qui, en son être, n’a absolument aucun besoin d’un autre étant, cela satisfait au sens propre à l’idée de substance - cet étant est l’ens perfectissimum. « Substantia   quae nulla plane re indigeat, unica tantum potest intelligi, nempe Deus » [2]. « Dieu » est ici un titre strictement ontologique, lorsqu’il est compris comme ens perfectissimum. En même temps, ce qui est co-visé de manière « évidente » avec le concept de Dieu rend possible une explicitation ontologique du moment constitutif de la substantialité, l’autarcie. « Alias vero omnes (res), non nisi ope concursus Dei   existere percipimus » [3]. Tout étant qui n’est pas Dieu a besoin d’être produit au sens le plus large du terme, et d’être conservé. La production comme être sous-la-main (ou l’absence du besoin d’être produit), voilà ce qui constitue l’horizon   au sein   duquel l’« être » est compris. Tout étant qui n’est pas Dieu est ens creatum  . Entre l’un et l’autre type d’étant existe une différence « infinie » d’être, et pourtant nous appelons le créé aussi bien que le créateur des étants. Nous employons donc le mot « être » dans une extension telle que son sens embrasse une différence « infinie ». Ainsi pouvons-nous même nommer avec un certain droit l’étant créé une substance. Relativement à Dieu, cet étant est sans doute en besoin de production et de conservation, mais à l’intérieur de la région de l’étant créé, du « monde » au sens de l’ens creatum, il y a de l’étant qui, relativement à une création ou une conservation créaturelles, à celles de l’homme par exemple, « n’a pas besoin d’un autre étant ». Des substances de cette sorte sont au nombre de deux : la res cogitans   et la res extensa.

L’être de la substance dont l’extensio représente la proprietas insigne devient par [93] conséquent déterminable en son fond ontologique à condition que soit éclairci le sens de l’être « commun », aux trois substances - à la substance infinie et aux deux substances finies. Seulement, « nomen substantiae non convenit Deo et illis univoce, ut dici solet in Scholis, hoc est… quae Deo et creaturis sit communis   » [4]. Descartes   touche ici à un problème qui n’avait cessé de préoccuper l’ontologie   médiévale : à la question de savoir en quelle guise la signification de l’être signifie proprement l’étant à chaque fois interpellé. Dans les énoncés « Dieu est » et « le monde est », nous énonçons l’être. Mais ce mot « est » ne peut pas alors viser chacun de ces étants au même sens (sunonumos, univoce) dans la mesure où subsiste entre eux une différence infinie d’être ; si le signifier du « est » était univoque, alors le créé serait visé comme incréé ou l’incréé ravalé au rang de créé. Cependant, l’« être » ne fonctionne pas non plus comme simple nom identique, mais dans les deux cas c’est bien l’« être » qui est compris. La scolastique conçoit le sens positif du signifier de l’« être », comme signifier « analogique », par opposition au signifier univoque ou seulement homonyme (équivoque). Sous l’invocation d’Aristote  , chez qui le problème est préformé au point de départ même de l’ontologie grecque en général, divers types d’analogie   ont été fixés, d’après lesquels également les « Écoles » se distingueront dans leur conception de la fonction significative de l’être. En ce qui concerne l’élaboration ontologique du problème, Descartes reste loin derrière la scolastique [5], et même il esquive la question. « Nulla ejus [substantiae] nominis significatio potest distincte intelligi, quae Deo et creaturis sit communis » [6]. Cette esquive signifie que Descartes laisse inélucidé le sens de l’être renfermé dans l’idée de substantialité et le caractère d’« universalité » de cette signification. Cela dit, l’ontologie médiévale elle-même s’est tout aussi peu enquise que l’ontologie antique de ce que l’être lui-même veut dire, et c’est pourquoi il n’est pas étonnant qu’une question comme celle du mode de signification de l’être ne puisse faire un seul pas tant que l’on veut l’élucider sur la base d’un sens non-clarifié de l’être, que cette signification serait censée « exprimer ». Si ce sens est demeuré non-clarifié, c’est parce qu’on le tenait pour « allant de soi ».

[94] Descartes ne se contente pas d’esquiver la question ontologique de la substantialité, mais il souligne expressément que la substance comme telle, c’est-à-dire sa substantialité, est d’emblée en et pour soi inaccessible. « Verumtamen non potest substantia primum animadverti ex hoc solo, quod sit existens, quia hoc solum per se nos non afficit » [7]. L’« être » lui-même ne nous « affecte » pas, aussi ne peut-il être perçu. « L’être n’est pas un prédicat réal », selon l’expression de Kant  , qui se borne à restituer la proposition de Descartes. Du coup, l’on renoncera fondamentalement à la possibilité d’une pure problématique de l’être, et l’on cherchera une échappatoire pour obtenir ensuite les déterminations citées des substances : comme l’« être » est en effet inaccessible comme étant, il sera exprimé à l’aide de déterminités étantes de l’étant en question - d’attributs. Non pas cependant à l’aide de n’importe quels attributs, mais à l’aide de ceux qui satisfont le plus purement au sens de l’être et de la substantialité que l’on persiste à présupposer tacitement. Dans la substantia finita comme res corporea, l’« assignation » primairement nécessaire est l’extensio. « Quin et facilius intelligimus substantiam extensam, vel substantiam cogitantem, quam substantiam solam, omisso eo quod cogitet vel sit extensa » [8], car la substantialité ne peut être dégagée que ratione tantum, non pas realiter, elle ne peut être trouvée comme le substantiellement étant lui-même.

Ainsi les bases ontologiques de la détermination du « monde » comme res extensa sont devenues claires : elles consistent dans l’idée non seulement non-clarifiée, mais encore déclarée non-clarifiable en son sens d’être, de la substantialité, exposée moyennant le détour par la propriété substantielle prééminente de chaque substance. D’autre part, la détermination de la substance par un étant substantiel nous livre également la raison de l’équivoque du terme. C’est la substantialité qui est visée, et pourtant elle est conquise à partir d’une constitution étante de la substance. L’ontique étant substitué à l’ontologique, l’expression substantia fonctionne tantôt au sens ontologique, tantôt au sens ontique, mais le plus souvent dans un sens ontico-ontologique confus. Mais ce qui s’abrite derrière cette imperceptible différence de signification, c’est l’impuissance à maîtriser le problème fondamental de l’être. Son élaboration exige de se mettre convenablement « sur la trace » des équivoques ; qui fait cette tentative ne « s’occupe » pas « de simples significations verbales », mais doit se risquer, [95] pour clarifier de telles « nuances », dans la problématique la plus originaire des « choses mêmes ».


Ver online : Sein und Zeit (1927), ed. Friedrich-Wilhelm von Herrmann, 1977, XIV, 586p. Revised 2018 [GA2]


[1Id., I, 51, p. 24.

[2Ibid. NT: (« La substance qui n’a absolument pas besoin d’une autre chose ne peut être conçue que comme unique, et c’est Dieu. »)

[3Ibid. NT: (« Pour toutes les autres choses, nous nous représentons qu’elles ne peuvent exister que grâce au concours de Dieu. »)

[4Ibid. (NT: « Le nom de substance ne convient pas à Dieu et à elles (aux créatures) univoquement… c’est-à-dire de telle manière qu’il soit commun à lui et à elles. »)

[5Cf., à ce propos, Opuscula omnia Thomae de Vio Caietanis Cardinalis, Lyon, 1580, t. III, tractatus V : « De nominum analogia », p. 211-219.

[6DESCARTES, Principia, I, 51, p. 24 (NT: « Aucune signification de son nom (scil. de la subtance) ne peut être distinctement représentée qui soit commune à Dieu et aux créatures. »)

[7Id., 52, p. 25; NT: (« Cependant la substance ne peut d’abord être aperçue à partir de cela seul qu’elle existe, car cela seul ne nous affecte pas par soi. »)

[82 Id., 63, p. 31; NT : (« De plus nous nous représentons plus facilement la substance étendue ou la substance pensante que la substance seule abstraction faite de ce quelle pense ou est étendue. »)